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Repousser les envahisseurs aquatiques : Voies d’invasion et moyens de défense

kevin bunch
Kevin Bunch

The St. Lawrence Seaway was a major route for invasive species to enter the Great Lakes before a 2006 change in ballast water regulations

La Voie maritime du Saint-Laurent était un axe d’invasion majeur des Grands Lacs avant la modification, en 2006, de la réglementation sur l’eau de ballast. Photo : Kunal Mukherjee

Moules quaggas. Hemimysis. Gaspareaux. Lamproie. Phragmites. Ce ne sont que quelques-unes des plus de 180 espèces non indigènes qui se sont installées dans le bassin des Grands Lacs au cours des derniers siècles. Elles sont entrées par les canaux et les navires. Elles se sont échappées des jardins et autres terres privées. Gérer ces populations animales et végétales est déjà difficile, mais comment s’y prendre pour éviter de nouvelles invasions? Cela dépend des espèces, de leur mode de propagation et des activités humaines qui contribuent par inadvertance à les introduire dans le bassin.

Par le passé, selon Jeff Brinsmead, biologiste principal spécialiste des espèces envahissantes au ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario, les envahisseurs arrivaient surtout en clandestins dans les citernes de ballast des navires qui traversaient les océans. L’eau de lest contenue dans les citernes sert à préserver l’équilibre des navires en fonction du poids de leur cargaison et de la quantité de carburant dans leurs réservoirs. Pendant des décennies, les navires pouvaient simplement charger cette eau – avec ses sédiments – au port d’attache et la déverser quand ils arrivaient dans les Grands Lacs, introduisant ainsi des dizaines d’espèces dans un nouvel écosystème. L’Agence des États-Unis pour la protection de l’environnement (USEPA) estime qu’environ 30 % des envahisseurs des Grands Lacs ont été introduits par l’eau de ballast. Toutes les espèces non indigènes ne sont pas envahissantes. Les espèces envahissantes sont un sous-groupe, dont l’introduction cause ou peut causer des dégâts économiques ou environnementaux, voire menacer la santé humaine. 

A sea lamprey attached to a salmon caught in northern Lake Huron

Une lamproie agrippée à un saumon capturé dans la partie nord du lac Huron. Photo : M. Gaden/Commission des pêcheries des Grands Lacs.

Les envahisseurs transocéaniques et la Voie maritime du Saint-Laurent

L’introduction de certaines espèces remonte à près de 200 ans, dont celle de la lamproie, espèce parasite entrée dans les Grands Lacs à l’ouverture du canal Welland, qui contourne les chutes Niagara. Mais c’est l’ouverture de la Voie maritime du Saint-Laurent, en 1959, qui a causé une augmentation spectaculaire dans les Grands Lacs, indique M. Brinsmead. Personne n’avait pensé à l’eau de ballast et aux espèces envahissantes avant l’ouverture de la Voie maritime. Ce n’est qu’en 2006 que les États-Unis et le Canada ont constaté l’ampleur du problème et ont commencé à réagir.

Cette année-là, la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent et le gouvernement du Canada ont pris des mesures réglementaires exigeant que l’eau de ballast soit changée en haute mer avant que les navires entrent dans la Voie maritime, conformément à la réglementation proposée par l’Organisation maritime internationale sous le régime de sa Convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires. L’USEPA a mis en œuvre des mesures semblables qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016. Depuis 2006, la présence d’une seule nouvelle espèce a été confirmée dans les Grands Lacs, affirme M. Brinsmead. Il s’agit d’un minuscule crustacé du groupe des copépodes qui était peut-être déjà là avant 2006, mais qui serait resté inaperçu. Les chercheurs croient que l’eau de ballast a été le vecteur d’introduction d’espèces envahissantes comme la moule zébrée, la moule quagga et l’Hemimysis – ou mysidacé tacheté – dans les Grands Lacs.

Passagers clandestins

Toutefois, si la réglementation a pu ralentir l’entrée de nouvelles espèces dans les Grands Lacs, les espèces qui se trouvent déjà dans les cours d’eau peuvent encore être amenées par inadvertance dans les lacs intérieurs ou d’autres zones des Grands Lacs. Les envahisseurs n’ont pas besoin de gros moyens de transport. Une embarcation – qu’il s’agisse d’un bateau, d’un kayak ou d’une motomarine, par exemple – qui est déplacée d’un plan d’eau à un autre sans avoir été nettoyée, vidée et asséchée peut transporter des espèces envahissantes minuscules. Cela va des larves de moule microscopiques aux graines de plantes. Les pêcheurs qui utilisent des appâts d’espèces non indigènes peuvent introduire ces espèces dans un nouvel environnement, que ce soit en les jetant dans l’eau ou en les laissant s’échapper. Les personnes qui ont des aquariums à la maison ou des jardins avec des espèces non indigènes peuvent accidentellement leur permettre de se propager.

Invasive Phragmites weeds, like these on the shore of Lake Huron in Lexington, Michigan, settle in wetlands and coastal areas, where they can quickly choke out native plants and ruin habitat for aquatic and terrestrial creatures

Les plantes envahissantes comme ces phragmites, sur les rives du lac Huron à Lexington, au Michigan, s’installent dans les zones humides et côtières, où elles peuvent rapidement étouffer les plantes indigènes et détruire l’habitat d’organismes aquatiques et terrestres. Photo : Sara Hattie.

Pour bloquer ces voies d’invasion, les gouvernements de l’Ontario et du Canada utilisent des mesures de sensibilisation et des moyens législatifs, notamment la Loi sur les espèces envahissantes de l’Ontario, qui est entrée en vigueur en novembre 2016. En vertu de cette loi, il est interdit d’introduire dans la province 16 espèces, dont le gobie à taches noires, les carpes asiatiques et le poisson à tête de serpent, tandis que les plantes comme les phragmites ou les renouées japonaises font l’objet de restrictions. Les personnes qui ont ces plantes dans leurs terrains ne seront pas pénalisées, mais elles ne peuvent les vendre, acheter ou échanger. M.  Brinsmead précise que le Canada encourage les citoyens à utiliser plutôt des plantes indigènes et non envahissantes dans leurs jardins.

Aux États-Unis, le U.S. Fish and Wildlife Service (USFWS) applique plusieurs lois nationales et décrets présidentiels pour gérer les espèces envahissantes, ainsi que des mesures et règlements au niveau des États. Comme en Ontario, les autorités américaines recommandent le nettoyage, le vidage et l’assèchement des embarcations qui se déplacent d’un plan d’eau à un autre. En vertu de la loi Lacey, l’USFWS peut aussi établir les facteurs de risque liés à l’introduction d’espèces non indigènes à des fins commerciales pour convaincre les entreprises qui font le commerce d’animaux de s’abstenir d’importer certaines espèces. L’USFWS peut aussi interdire que certaines espèces franchissent la frontière du pays ou la limite des États.

Carpes asiatiques et barrières électriques

Les carpes asiatiques continuent de préoccuper beaucoup les autorités canadiennes et américaines. En plus de surveiller les lacs pour détecter leur présence par l’étude de « l’ADN environnemental » et au moyen du chalutage, les organismes américains tentent de trouver de meilleurs moyens pour les empêcher d’entrer dans le lac Michigan par le Mississippi. Actuellement, trois barrières électriques séparent le fleuve du lac dans le réseau hydrographique de la région de Chicago, pour éloigner les poissons.

Par ailleurs, on poursuit des recherches sur d’autres méthodes pour décourager les carpes d’entrer dans le lac Michigan par d’autres voies. Les carpes se sont propagées à 45 milles (72 kilomètres) du lac Michigan, dont elles sont séparées par les barrières électriques et trois écluses et barrages. Toutefois, les intervenants prennent la menace au sérieux, après le jugement d’une cour de district fédéral de l’Illinois en 2012 exigeant que le canal ne soit pas fermé de façon permanente, jugement qui a été maintenu en cour d’appel. Il y a eu des tests indiquant que les barrières perdent une partie de leur puissance quand des navires les franchissent vers le Mississippi. Il reste donc des améliorations à y apporter.

L’Asian Carp Regional Coordinating Committee a lancé en janvier son plan d’action pour 2017, qui propose notamment une nouvelle barrière électrique dans le canal de Chicago, une surveillance accrue et la recherche de nouvelles mesures de lutte.

Compte tenu des coûts de gestion des espèces envahissantes et des dégâts qu’elles peuvent causer à leur nouvel écosystème, il importe que chacun – des particuliers aux collectivités, en passant par les entreprises et les gouvernements – contribue à empêcher leur introduction.

US National Oceanic and Atmospheric Administration invasive quagga mussels Lake Ontario

Les chercheurs de la National Oceanic and Atmospheric Administration des États-Unis retirent des moules quaggas envahissantes du lac Ontario durant une opération de chalutage. Photo : NOAA.  

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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