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Des moules envahissantes sont en train de transformer les Grands Lacs en déserts alimentaires

kevin bunch
Kevin Bunch
Cladophora clumping near Great Lakes shorelines

 

Les moules envahissantes ont entraîné l’accumulation, près des berges des Grands Lacs, d’éléments nutritifs tel le phosphore. En ajoutant à cela la tendance des moules à accroître la limpidité des eaux, il en découle une prolifération de l’algue Cladophora
Les moules envahissantes ont entraîné l’accumulation, près des berges des Grands Lacs, d’éléments nutritifs tel le phosphore. En ajoutant à cela la tendance des moules à accroître la limpidité des eaux, il en découle une prolifération de l’algue Cladophora. Source : USGS

Les moules envahissantes du type zébré et quagga accaparent les éléments nutritifs qui se trouvent normalement en eaux profondes et les rejettent près des berges, pouvant ainsi compliquer davantage l’arrêt de la prolifération d’algues nuisibles.

Connue sous le nom de « dérivation des éléments nutritifs vers les littoraux », cette migration du phosphore et d’autres éléments nutritifs servant d’aliment au plancton a entraîné certaines incidences négatives graves sur le réseau trophique des Grands Lacs. Les algues, Cladophora plus particulièrement, qui croissent sur des surfaces dures à proximité des moules et qui ingèrent des éléments nutritifs excrétés par celles-ci se développent dans les régions proches des rivages où abondent les nutriments.

Le déplacement des éléments nutritifs a profité également à d’autres espèces qui préfèrent les environnements littoraux et benthiques (ou relatifs aux fonds des lacs), selon le Dr Harvey Bootsma, professeur agrégé de la School of Freshwater Sciences de l’université du Wisconsin à Milwaukee.

Règle générale, lorsqu’une quantité plus importante de phosphore pénètre les lacs, elle se retrouve au large, où elle sert de nourriture au phytoplancton, ce dernier étant à son tour ingéré par le zooplancton. Les poissons s’alimentent ensuite à même les deux types de planctons ainsi que d’autres espèces aquatiques qui s’en nourrissent. Une certaine quantité de phosphore aboutit au niveau benthique, pour ensuite périodiquement remonter et être de nouveau dissoute dans l’eau, où elle continue de servir de nourriture au phytoplancton.

Par contre, avec l’arrivée des moules envahissantes, davantage de phosphore demeure dans les environnements littoraux, bouclant son cycle sans jamais rejoindre les eaux profondes. Les courants de dérive littorale ont également tendance à garder le phosphore dissous dans la colonne d’eau, où Cladophora s’attaque en premier à cette source de nutriments. Ajoutez à cela la voracité des moules zébrées, qui filtrent la colonne d’eau, et vous vous retrouvez avec une prolifération accrue d’algues nuisibles, entraînant les efflorescences algales constatées dans le lac Érié et dans les baies de tous les Grands Lacs. Les moules sont également capables de piéger le plancton du large pendant sa dérive vers les zones littorales, pour en fin de compte garder captive cette source de nutriments dans leur habitat littoral.

La moule zébrée (à gauche) et la moule quagga (à droite)
La moule zébrée (à gauche) et la moule quagga (à droite) sont deux espèces envahissantes indigènes d’Europe ayant considérablement altéré le réseau trophique des Grands Lacs. Source : NOAA

Cette situation a des répercussions importantes sur le réseau trophique. Certaines espèces de poissons dont l’habitat se situe traditionnellement au large ou dans la colonne d’eau sont disposées à s’aventurer dans les régions littorales ou benthiques en quête de nourriture. Le gobie à taches noires, un poisson envahissant se nourrissant de moules et d’autres invertébrés, dispose d’une source d’alimentation abondante dans les régions littorales. Cela a poussé certains poissons prédateurs indigènes, tels la truite brune, la truite arc-en-ciel et le saumon de l’Atlantique, à s’aventurer dans les zones littorales pour se nourrir à même les gobies. D’autres espèces, tels le saumon royal et le saumon coho, ne se nourrissent pas de gobies à taches noires et ne s’aventurent donc pas en eaux littorales. On assiste plutôt au déclin de leur approvisionnement alimentaire et de leurs peuplements, en raison de l’action des moules, qui limite la production du plancton au large.

La prolifération des mattes de Cladophora pourrait également être à l’origine d’autres problèmes. Selon le Dr Bootsma, des études ont démontré que Cladophora peut générer des concentrations élevées de bactéries lors de sa décomposition sur les plages. Dans la partie nord du lac Michigan, on a recensé un nombre croissant d’oiseaux victimes de botulisme aviaire. Le Dr Bootsma a indiqué que des preuves existent relativement à la prolifération des bactéries favorisant le botulisme dont l’origine est attribuable à Cladophora. Lorsque les gobies à taches noires ingèrent ces bactéries toxiques et qu’ils sont à leur tour ingérés par des oiseaux, ces derniers contractent de ce fait des maladies leur étant fatales.

La dérivation des éléments nutritifs a amené les chercheurs à la conclusion que des mesures de contrôle plus serrées quant à la quantité maximale de phosphore et d’autres nutriments pouvant pénétrer dans les Grands Lacs sont nécessaires afin d’assurer une meilleure qualité des eaux. Les moules constituant le principal coupable de la recrudescence de Cladophora, l’on est d’avis que, dans le cas du lac Érié, c’est la raison pour laquelle la prolifération d’algues nuisibles, ainsi que d’autres problèmes ayant trait à la qualité des eaux en raison de la présence d’un excès de nutriments, sont revenus à l’avant-scène au cours des années 1990 et ce, malgré l’existence de réglementations visant le phosphore et d’autres éléments nutritifs, et ont continué d’affliger le lac au cours des décennies suivantes.

Les États-Unis et le Canada ont pris l’engagement de réduire de quarante pour cent les charges de phosphore pénétrant dans le lac Érié par rapport aux apports par ruissellement de 2008, bien qu’aucun des deux pays n’ait dévoilé de plan en ce sens jusqu’à maintenant. Le Dr Bootsma a déclaré que selon les données historiques et les modèles numériques, cette réduction serait suffisante pour ramener le problème des algues toxiques et d’hypoxie en eaux profondes (la formation de zones exemptes d’oxygène dans les eaux) à des niveaux acceptables. La CMI a recommandé des réductions des charges semblables dans un rapport de 2014 publié dans le cadre de la Priorité de l'écosystème du lac Érié.

Bien que la réduction des charges de phosphore puisse contribuer à traiter la question des proliférations de phytoplancton dans le lac Érié, le Dr Bootsma a indiqué qu’il subsiste de l’incertitude quant à la façon dont la croissance de l’algue de littoral Cladophora réagira à une réduction des apports en phosphore. Malgré une concentration de phosphore inférieure à celle du lac Érié, le lac Michigan connaît encore des problèmes d’algues de littoral. Cette situation amène les scientifiques à se demander si la réduction localisée du phosphore entravera la croissance de Cladophora ou s’il faudra d’abord une diminution des concentrations de phosphore dans l’ensemble du lac. Des concentrations plus faibles de phosphore dans les zones éloignées des côtes pourraient entraîner une réduction plus prononcée des quantités de plancton s’y trouvant, nuisant ainsi davantage au réseau trophique de ces zones que ne l’ont fait les moules jusqu’à présent.

« Nous avons présentement besoin de modèles s’appuyant sur une recherche exhaustive, qui nous indiqueront de quelle manière les zones éloignées des côtes et les zones littorales réagiront aux changements au niveau des charges de phosphore », a déclaré le Dr Bootsma.

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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