L’article suivant est tiré d’un bulletin archivé. Consultez notre bulletin Eaux partagées.

Code bleu : l’eau des Grands Lacs a besoin d’un médecin

Michael Mezzacapo
Bouée de surveillance de la qualité de l’eau de l’EPA, qui recueille des données en direct sur la qualité de l’eau et fournit des renseignements précieux pour poursuivre la surveillance de la pollution et de la santé des eaux des Grands Lacs
Bouée de surveillance de la qualité de l’eau de l’EPA, qui recueille des données en direct sur la qualité de l’eau et fournit des renseignements précieux pour poursuivre la surveillance de la pollution et de la santé des eaux des Grands Lacs. Crédit : EPA.

Imaginez qu’à votre réveil un matin vous appreniez que les représentants de votre ville vous conseillent de ne pas boire l’eau ou encore que vous receviez un texto de votre administration locale vous indiquant de demeurer à l’intérieur à cause de rejets toxiques provenant de l’usine chimique de votre localité. Que feriez‑vous et que ressentiriez-vous?

Malheureusement, ces scénarios ne sont pas fictifs; ils se produisent déjà. Les plages des Grands Lacs sont fermées, des avis d’eau potable sont diffusés et certains poissons sont impropres à la consommation. L’un des exemples les plus frappants est celui de Toledo, en Ohio, ville de près de 300 000 habitants, et de nombre de ses banlieues, qui avaient reçu en 2014 des avis de ne pas boire l’eau pendant trois jours à cause des teneurs élevées en microcystines dans l’ouest du lac Érié, lesquelles ont été engendrées par la prolifération d’algues nuisibles. Cette urgence a touché près de 500 000 personnes. Des événements graves liés à la qualité de l’eau se sont également produits à Walkerton, en Ontario, où sept personnes sont décédées et 2 300 sont tombées malades en 2000 à cause des concentrations élevées d’E. coli dans leur approvisionnement en eau. Des situations dangereuses semblables se produisent dans l’ensemble du bassin des collectivités rurales et urbaines. De nombreuses collectivités des Premières Nations du Canada sont aux prises avec des avis d’ébullition d’eau.

Ce n’est un secret pour personne : les Grands Lacs ont été durement touchés par le développement humain. Néanmoins, plus de 35 millions de citoyens aux États-Unis et au Canada dépendent des lacs pour répondre à leurs besoins en eau potable, en nourriture et en loisirs. On ne peut pas faire abstraction de l’importance de protéger la santé humaine contre les dangers évitables.

L’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs de 2012 souligne l’importance de préserver la qualité de la santé humaine dans le bassin des Grands Lacs. L’Accord ne renferme toutefois pas d’annexes consacrées à la santé humaine qui décrivent les activités visant le maintien d’eaux propres à la consommation, à la baignade et à la pêche. La CMI est d’avis qu’il faut mettre davantage l’accent sur la protection de la santé humaine par l’entremise de cet objectif.

Dans la première Évaluation triennale des progrès réalisés, il est indiqué que la « Commission a invariablement exprimé sa préoccupation à l’égard du besoin de prêter davantage d’attention aux séquelles de la qualité des eaux des Grands Lacs pour la santé humaine […]. Une des plus grandes préoccupations du public est le risque pour la santé humaine que peut représenter l’exposition aux contaminants des Grands Lacs, par la consommation de poisson, la consommation d’eau du robinet et la baignade ».

Année après année, les problèmes de qualité de l’eau continuent d’affecter des millions de citoyens de la région des Grands Lacs. Par exemple, la troisième plus grande prolifération d’algues s’est produite dans le lac Érié en 2017. Même si elle n’a pas entraîné la diffusion d’avis sur l’eau potable comme en 2014, les réserves d’eau potable de la ville ont encore été touchées. Lorsque les proliférations algales meurent et se décomposent, elles créent des zones mortes pauvres en oxygène. L’eau émet alors une odeur nocive et tue les poissons. Le système municipal d’eau potable de Toledo, par exemple, a appliqué plusieurs mesures préventives, notamment le traitement des prises d’eau avec du permanganate de potassium afin d’oxyder les algues et d’assurer la qualité de l’eau potable.

Efflorescences de cyanobactéries à une prise d’eau potable située dans le lac Érié
Efflorescences de cyanobactéries à une prise d’eau potable située dans le lac Érié. Crédit : EPA.

Afin d’atténuer les risques pour la santé humaine liés à la contamination de l’eau potable, l’Évaluation triennale des progrès recommande que les deux gouvernements protègent les sources d’approvisionnement en eau potable plutôt que de simplement traiter l’eau après l’avoir puisée. L’eau de source constitue une réserve d’eau à partir de laquelle on prélève de l’eau potable. L’Ontario mesure les données dans les emplacements d’eau de source et indique si les normes ontariennes de qualité de l’eau potable sont respectées dans plus de 450 réseaux d’eau potable de la province. Cependant, les États-Unis ne disposent pas de programme semblable pour suivre et surveiller l’eau de source.

Une autre menace pour la qualité de l’eau et la santé humaine provient des effets des débordements d’égouts unitaires (DEU). Les DEU ont des répercussions sanitaires et économiques importantes, ce qui entraîne une augmentation des coûts de traitement des réserves d’eau potable et la fermeture des plages afin de protéger les citoyens contre les agents pathogènes dangereux. La CMI recommande une politique de zéro rejet des eaux usées mal traitées ou non traitées dans les Grands Lacs et dans ses affluents.

De plus, les Grands Lacs constituent une source de nourriture et de loisirs pour des millions de pêcheurs. Cependant, tous les Grands Lacs sont aux prises avec des avis relatifs à la consommation de poisson. Des substances dangereuses comme le mercure, les dioxines et les polychlorobiphényles (PCB) entrent dans les lacs depuis des décennies, où elles persistent et contaminent les espèces de tout le réseau trophique. Une meilleure communication des avis sur la consommation de poisson est essentielle pour l’ensemble des Grands Lacs, en particulier pour les populations qui mangent beaucoup de poissons provenant des Grands Lacs, ou pour celles qui sont plus à risque, comme les femmes en âge de procréer et les jeunes enfants. Les principales lacunes en termes de communication doivent être corrigées. Une étude de 2005 a révélé que les résidents caucasiens étaient six fois plus susceptibles d’être au courant des avis de consommation de poisson comparativement à leurs voisins afro-américains. Dans son Évaluation triennale des progrès, la CMI conclut : « Une compréhension des lacunes en matière de connaissance dans les avis ainsi que le raffinement des messages et d’autres efforts de sensibilisation sont nécessaires pour accroître la conformité aux lignes directrices sur la consommation de poisson, en particulier parmi les sous-populations. »

Graphique mettant en évidence les principaux contaminants qui entraînent des avis sur la consommation de poisson dans chacun des Grands Lacs, et les recommandations de l’Évaluation triennale de la CMI concernant la consommation de poisson. Crédit : EPA/CMI.

Les Grands Lacs ont 17 549 km (10 900 milles) de littoral. Les loisirs représentent une partie vitale de la culture et de l’économie de la région. Les touristes qui fréquentent les plages pour la baignade et la navigation contribuent à l’économie des collectivités locales en achetant des biens et services. Si les plages sont fermées à cause de la pollution, les entreprises locales seront les premières à en subir le contrecoup. La possibilité de profiter des lacs constitue un élément clé de la qualité de vie des résidents de la région.

Selon les objectifs de l’Accord, les Grands Lacs « devraient permettre la baignade et d’autres activités récréatives, sans restriction due à des préoccupations quant à la qualité de l’environnement ». Pourtant, des études montrent des effets nocifs sur la santé causés par les déchets humains et animaux qui souillent les eaux des Grands Lacs. La CMI a constaté dans son Évaluation triennale que les plages des Grands Lacs sont ouvertes 96 % de la saison aux États-Unis et 78 % de la saison au Canada. Toutefois, l’irrégularité de la surveillance de la sécurité des plages ainsi que l’affichage de mises en garde ou de fermetures menacent la santé humaine dans certains secteurs.

Les conditions météorologiques extrêmes et les changements climatiques aggravent également les effets de la pollution sur les plages des Grands Lacs. Selon Martin Denecke, directeur du Youth Recreation and Senior Services à Hamburg, dans l’État de New York, les plages sont fréquemment fermées à la baignade. « Les ruisseaux qui se déversent dans le lac coulent plus vite. Certains de ces ruisseaux sont pollués, et les polluants entrent en contact avec l’eau, ce qui affecte sa qualité, » a déclaré Denecke à une chaîne de télévision locale.

Le déversement de produits chimiques industriels menace également la santé publique et l’économie touristique. En avril 2017, une aciérie près du parc national Indiana Dunes National Lakeshore a causé plusieurs fermetures de plages après le déversement de 346 livres de chrome dans le lac Michigan. Les plages proches de l’usine, notamment celles de la ville d’Ogden Dunes et du parc Indiana Dunes National Lakeshore, ont été fermées pendant près d’une semaine.

Bien que la CMI ne formule aucune recommandation précise dans son Évaluation triennale quant à la baignade en toute sécurité, elle conclut que « tous les ordres de gouvernement doivent s’attacher à améliorer la santé et la sécurité des plages » en normalisant le suivi et en adoptant des indicateurs rigoureux de la santé des plages, lesquels pourront « améliorer les rapports, protéger les plages et accroître la sécurité publique lors de l’utilisation des plages des Grands Lacs. »

Steve et Tyler Kaminski, père et fils, lançant des cailloux sur le lac Érié à Fisherman’s Beach, dans le nord-est de la Pennsylvanie
Steve et Tyler Kaminski, père et fils, lançant des cailloux sur le lac Érié à Fisherman’s Beach, dans le nord-est de la Pennsylvanie. Crédit : Michael Mezzacapo.

Enfin, la CMI constate également dans l’Évaluation triennale que le fait d’améliorer les rapports sur les mesures nationales et binationales relatives aux objectifs sur l’eau potable, les loisirs et la consommation de poisson par les deux pays favoriserait une meilleure analyse des progrès réalisés vers l’atteinte des objectifs de l’Accord.

Par exemple, une collection améliorée et plus complète de données sur la santé pourrait être fondée sur les bassins hydrographiques ou les écosystèmes, plutôt que sur les frontières politiques. En étant plus vaste et inclusive, cette méthode appuierait une analyse approfondie des liens qui existent entre la qualité de l’eau et la santé humaine, et serait plus susceptible de susciter des mesures appropriées. En créant des produits visuels facilement accessibles montrant clairement l’ampleur et la répartition des effets, comme les fermetures de plages, le public serait mieux informé et, ainsi, plus enclin à respecter les directives des mises en garde et des fermetures. 

Michael Mezzacapo

Michael Mezzacapo is the 2017-2018 Michigan Sea Grant Fellow at the IJC’s Great Lakes Regional Office in Windsor, Ontario.

Abonnez-vous à notre bulletin !

Formulaire d'inscription