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Une interaction stressante : Pour les écosystèmes, certains facteurs de stress ont une plus grande influence quand ils sont combinés

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Allison Voglesong Zejnati
IJC
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Le Conseil consultatif scientifique des Grands Lacs de la CMI a examiné 11 appariements de sept facteurs de stress d’écosystèmes prioritaires dans les Grands Lacs afin de comprendre les effets cumulatifs de leurs interactions.

Si le « Sharknado » relève de la science-fiction, la combinaison par paires de facteurs de stress environnementaux indépendamment nuisibles ‒ tout comme les requins et les tornades ‒ peut bel et bien amplifier les dommages causés aux écosystèmes des Grands Lacs.

Les experts ont récemment étudié les combinaisons de problèmes des Grands Lacs, « par paires », pour déterminer ce qui se passe en cas d’interaction.

Dans les Grands Lacs, c’est toute une litanie de problèmes qui nuit aux écosystèmes et à la qualité de l’eau. Il pourrait être dantesque de chercher à comparer toutes les paires possibles sans compter que ce travail pourrait ne pas être vraiment utile. C’est pourquoi les experts du Comité des priorités scientifiques du Conseil consultatif scientifique (CCS) de la CMI ont évalué les « facteurs de stress » des Grands Lacs. Ils ont déterminé que sept d’entre eux sont hautement prioritaires : les changements climatiques; la récolte du poisson; la perte d’habitat; les espèces envahissantes; les éléments nutritifs; les pathogènes et les produits chimiques toxiques.

À partir de là, ils ont effectué une analyse poussée de 11 paires de facteurs de stress dans le but d’en décrire les interactions éventuelles. En septembre dernier, quelques membres du Comité ont résumé les conclusions d’un récent rapport aux quelque 500 participants à un webinaire qui a porté sur trois exemples d’interactions par paires.

« Cette recherche s’imposait parce que nous ne comprenons pas bien les interactions entre facteurs de stress », nous révèle l’auteur principal du rapport, David Allan, membre du Comité des priorités scientifiques du CCS et professeur émérite à l’Université du Michigan à Ann Arbor.

« Habituellement, nous comprenons assez bien les impacts environnementaux de problèmes individuels, mais nous n’avons pas accordé autant d’attention à ce qui se passe en cas d’interaction de ces problèmes […] Nous devons mieux comprendre comment ces facteurs de stress se comportent dans le monde réel où ils coexistent et interagissent. »

John Bratton, responsable du projet chez LimnoTech à Ann Arbor (Michigan), a décrit la synergie d’une paire de facteurs de stress et l’aggravation de leurs effets respectifs. Cela est illustré par l’interaction entre le phosphore excessif, qui se déverse dans les cours d’eau depuis les terres fertilisées, et les précipitations plus intenses et plus fréquentes causées par les changements climatiques. Cette paire de facteurs de stress a pour effet d’augmenter les dommages cumulatifs parce que la combinaison peut aggraver les proliférations d’algues toxiques et nocives.

En revanche, d’autres paires de facteurs de stress présentent des comportements antagonistes (l’un pouvant réduire l’impact de l’autre). Karen Kidd, membre du CCS, et titulaire de la chaire Jarislowsky en environnement et en santé de l’Université McMaster à Hamilton (Ontario), a décrit comment le phosphore favorise l’augmentation de la biomasse dans le réseau trophique et cause une dilution des produits chimiques toxiques, comme les diphényles polychlorés (BPC), observés chez les espèces aquatiques.

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Une figure tirée de la présentation de Mme Kidd montre que l’augmentation du phosphore entraîne une dilution des BPC toxiques présents dans les tissus des poissons. Source : Karen Kidd

Il peut aussi se produire à la fois des synergies et des antagonismes pour certaines paires de facteurs de stress. Michael Murray, membre du CCS et scientifique à la National Wildlife Federation, à Ann Arbor (Michigan), a expliqué que tel est le cas avec le mercure chimique toxique en lien avec la perte de terres humides.

Les terres humides agissent comme des « puits » de produits chimiques toxiques, car ils capturent et retiennent des toxines tel le mercure provenant de sources comme les centrales électriques au charbon. Néanmoins, les milieux humides peuvent aussi transformer le mercure en une forme moléculaire plus nocive (le méthylmercure). La disparition de milieux humides est synonyme de perte des « puits », de sorte que le mercure peut se déplacer dans l’écosystème. Cela étant, la perte des milieux humides ralentit la transformation du mercure en méthylmercure.

Malgré les appariements possibles des combinaisons, les changements climatiques constituent un problème particulièrement épineux qui, dans l’éventail des facteurs de stress étudiés, semble en aggraver d’autres.

Les changements climatiques ont des répercussions sur la qualité et la quantité de l’eau des Grands Lacs de diverses façons toutes aussi complexes et difficiles à comprendre les unes que les autres.

À la faveur de ce projet, le CSS a examiné la façon dont des aspects précis des changements climatiques interagissent avec cinq autres facteurs de stress. Les experts ont évalué les façons possibles dont le réchauffement de la température de l’eau, causé par les changements climatiques, sont susceptibles de provoquer une interaction entre les polluants organiques, les moules dreissenidées et d’autres espèces envahissantes, ainsi que la perte de terres humides. Ils se sont également penchés sur la relation entre les précipitations plus intenses dues à l’évolution du climat et les pathogènes du poisson. Pour comprendre le comportement des éléments nutritifs, ils ont voulu savoir ce qu’il en était des interactions entre, d’une part, les précipitations et le réchauffement des eaux et, d’autre part, le phosphore.

Par exemple, le réchauffement de la température de l’eau peut favoriser les plantes envahissantes comme le phragmite et aggraver la perte des terres humides, rendant encore plus difficile la croissance des plantes indigènes des terres humides.

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La plante envahissante phragmites australis peut aggraver la perte de terres humides. Source : CMI

« Les changements climatiques agissent normalement en synergie avec d’autres facteurs de stress, affirme M. Allan. « Notre évaluation a révélé que les changements climatiques amplifient les effets négatifs dus à l’excès d’éléments nutritifs, à la perte de terres humides, aux espèces envahissantes et à plusieurs polluants organiques. Il est urgent de tenir compte des changements climatiques dans nos tentatives visant à résoudre les autres problèmes des Grands Lacs. »

Dans son rapport, le Conseil consultatif scientifique recommande que les gouvernements du Canada et des États-Unis « tiennent explicitement compte » des interactions entre les changements climatiques et les autres facteurs de stress dans leurs programmes scientifiques et de gestion des enjeux des Grands Lacs.

« Le portrait peut paraître sombre, mais il y a de bonnes nouvelles dans toute cette histoire », affirme M. Allan. « Ces problèmes ne se produisent pas partout autour des Grands Lacs, d’un seul coup et à une intensité égale. En déterminant où et quand certains facteurs de stress sont susceptibles d’entrer en interaction, nous pourrons déterminer sur quoi axer nos efforts de recherche et nos dépenses pour restaurer les écosystèmes. »

Les facteurs de stress qui entrent en interaction sont généralement concentrée près des centres d’activité humaine, comme les zones urbaines et les autres zones riveraines développées, les ports, les voies interlacustres et les points de sortie des bassins hydrographiques agricoles.

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Carte des facteurs de stress cumulatifs produite par le Projet d’évaluation environnementale et de cartographie des Grands Lacs en 2012. Source : David Allan, Université du Michigan.

David Allan a également été l’un des responsables du projet d’évaluation environnementale et de cartographie des Grands Lacs (GLEAM) en 2012, qui a permis de cartographier la répartition géographique de 34 facteurs de stress ainsi que leurs effets cumulatifs. La carte définitive du projet GLEAM (ci-dessus) illustre l’influence de l’activité humaine sur le stress environnemental total subi par les Grands Lacs.

Bien que le projet GLEAM ait consisté à déterminer la variation possible des problèmes environnementaux dans l’espace, le nouveau rapport du Conseil consultatif scientifique tient également compte de la façon dont ces facteurs de stress peuvent varier dans le temps. Par exemple, l’influence du phénomène d’interaction des facteurs de stress peut être plus grande pendant les étapes sensibles de la vie des poissons et de la faune.  

L’étude souligne que de nombreux programmes gouvernementaux mettent l’accent sur les facteurs de stress individuels, bien qu’il existe de bons exemples de programmes qui traitent des interactions entre les facteurs de stress, comme le nettoyage des secteurs préoccupants et la gestion des pêches. Selon David Allan, la meilleure façon de ne pas aller au-delà du point de non-retour écologique est de penser et d’agir de façon holistique.

« Nous devons reconnaître que la gestion des facteurs de stress environnementaux pris en isolement les uns des autres n’est peut-être pas toujours la meilleure approche, » estime M. Allan. « Nous aurons plus de chances de réussir en envisageant les choses dans leur globalité et en gérant les problèmes à mesure qu’ils entrent en interaction les uns avec les autres. C’est la voie que nous sommes en train de prendre, mais la gestion des facteurs de stress multiples d’une manière holistique doit être plus largement mise en pratique. »

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Allison Voglesong Zejnati
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Allison Voglesong Zejnati is public affairs specialist at the IJC’s Great Lakes Regional Office in Windsor, Ontario.

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