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Un poisson, deux poissons… poissons affamés, moins de poissons

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Allison Voglesong Zejnati
IJC
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Dans le récit de leurs exploits, les pêcheurs exagèrent souvent la taille ou le nombre de leurs prises. En revanche, ce qui n’a rien d’un récit enjolivé c’est la description du déclin des pêches dans les Grands Lacs, qui montre l’incidence des changements dans les zones littorales peu profondes sur les secteurs profonds du large et les importantes populations de poissons.

Les éléments nutritifs du réseau trophique, dans les parties profondes des lacs, sont emprisonnés dans les secteurs peu profonds près des berges, de sorte que les poissons capturés au large des Grand Lac (sauf dans le lac Érié) sont moins nombreux et plus maigres. Selon un rapport récent rédigé par des conseillers scientifiques experts de la Commission mixte internationale (CMI), tout indique que les moules envahissantes sont l’un des principaux coupables.

Dans certains secteurs des lacs, ce qui ressemble à un tapis de fond n’est en fait qu’une colonie très dense de moules envahissantes miniatures.

« Les moules quaggas et les moules zébrées sont des espèces envahissantes, des passagers clandestins arrivés dans les Grands Lacs par bateau, en provenance d’Europe et d’Asie », explique Erika Jensen, directrice exécutive par intérim de la Commission des Grands Lacs.

Si vous êtes déjà « tombé » sur ces moules dans un lac, vous savez qu’elles coupent comme des rasoirs, mais selon Mme Jensen, il y a pire, car « elles réduisent la quantité de nourriture disponible pour les autres organismes aquatiques et exacerbent les problèmes que représentent, par exemple, les algues nuisibles ».

Le lac Érié est bien connu pour ses proliférations annuelles d’algues nuisibles dans sa partie occidentale qui est peu profonde. Mais dans les baies et le long des berges chaudes et peu profondes des quatre autres Grands Lacs, les proliférations d’algues sont de plus en plus fréquentes. Mentionnons, par exemple, les algues vertes odorantes et fibreuses qui s’échouent sur les berges du lac Michigan, à Sleeping Bear Dunes National Lake, les proliférations d’algues dans la baie Sodus du lac Ontario qui font fuir le visiteur, ou encore le suintement et l’écume de surface de couleur verte signalés par des visiteurs à hauteur des îles Apostle, dans le lac Supérieur.

Le lac Érié est soumis à un régime strict visant à réduire les engrais, les déchets et les autres éléments nutritifs qui alimentent les proliférations d’algues.

Cependant, dans les lacs Huron, Michigan, Ontario et Supérieur, un régime nutritif n’est pas nécessairement la solution. C’est parce que la quantité totale de phosphore dans ces lacs est déjà relativement faible.

« Dans les lacs où les taux en éléments nutritifs sont faibles, nous assistons à ces proliférations d’algues benthiques, comme les tapis de Cladophora qui se forment au fond des lacs, parce que les moules envahissantes piègent les éléments nutritifs disponibles dans ces zones peu profondes. » explique Bob Hecky, membre du Comité de la priorité scientifique du Conseil consultatif de la CMI et professeur émérite à l’Observatoire des grands lacs de l’Université du Minnesota et de Duluth.

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Un chercheur prélève un échantillon sur un tapis de Cladophora au fond du lac Michigan, près de Sleeping Bear Dunes. Source : NOAA Great Lakes Environmental Research Laboratory

Cependant, ce piège provoque un effet d’entraînement qui influence les écosystèmes des lacs à l’équilibre délicat.

Le duo destructeur des algues et des moules dans la zone littorale cause également des problèmes aux poissons dans les parties profondes des lacs.

« À l’examen des données sur les zones littorales et extracôtières, nous nous attendons à ce que la quantité totale de phosphore mesurée et le taux de croissance des algues et des organismes se situant en bas de la chaîne alimentaire diminuent graduellement à mesure que la profondeur augmente, » explique Joe DePinto, membre du Comité de la priorité scientifique et consultant indépendant.

« Cependant, au lieu d’une baisse lente et progressive de ces chiffres, on constate que les mesures sont élevées dans les zones littorales, puis qu’elles accusent une chute abrupte jusqu’à atteindre des niveaux très faibles dans les zones au large. »

Avec ce « piégeage » dans le littoral causé par les moules envahissantes, le cycle des éléments nutritifs est interrompu.

Comme toute chose vivante, les lacs ont besoin d’un apport équilibré en éléments nutritifs, mais la quantité précise diffère d’un lac à l’autre. Dans les parties plus profondes et plus froides des lacs, les éléments nutritifs sont nécessaires à la croissance des algues.

« La quantité et les types de poissons au sommet de la chaîne alimentaire sont affectés par les sources disponibles au bas de la chaîne alimentaire », précise Roger Knight, spécialiste de la gestion des pêches à la Great Lakes Fishery Commission.

Dès que les composantes nutritionnelles de la chaîne alimentaire ne sont plus assurées, il se produit un effet en cascade. Quand il y a moins d’éléments nutritifs, il y a moins de plantes et de zooplancton pour les petits organismes et les poissons. Les poissons vivant dans les parties profondes des lacs n’ont plus accès à la même quantité de nourriture et ils ont faim.

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Une carte interactive illustre les répercussions des moules envahissantes sur le réseau trophique du lac Michigan. Crédit photo : Illinois-Indiana Sea Grant

 

Bien que le piégeage des éléments nutritifs par des moules envahissantes soit une grande partie du problème, des processus plus vastes et plus complexes jouent également un rôle dans le déclin des populations de poissons. Les changements climatiques influent sur des facteurs comme la température de l’eau et la teneur en éléments nutritifs. La disparition du Diporeia, qui ressemble à une crevette dont se nourrissent les poissons, est peut être liée aux moules envahissantes. Et puis, les moules améliorent la clarté de l’eau, ce qui stimule le taux de croissance des algues et agit sur la dynamique prédateur-proie des poissons. Il est difficile de relier directement les moules aux changements de population de la ressource halieutique quand on constate que les poissons proies, comme le hareng indigène et le gaspareau envahissant, sont à un niveau historiquement bas, et que les gestionnaires des pêches ensemencent les lacs avec des poissons prédateurs.

La solution est loin d’être claire comme de l’eau de roche. C’est parce que les scientifiques et les gestionnaires ignorent encore beaucoup des liens entre le piégeage des éléments nutritifs par les moules près des berges et la taille et le nombre de poissons qu’ils capturent au large.

Le Conseil consultatif scientifique de la CMI a collaboré avec des experts des pêches, y compris ceux de la Commission des pêcheries des Grands Lacs, et des experts de la qualité de l’eau pour mieux comprendre les causes du déclin des pêches dans les lacs.

Le rapport du Conseil consultatif scientifique explique ce que comprennent de la situation les scientifiques spécialistes de la qualité de l’eau et des pêches, et ce qu’il leur reste à apprendre au sujet de la réduction de la quantité des poissons dans les eaux profondes en fonction du piégeage des éléments nutritifs dans la zone littorale par les moules et les algues envahissantes.

Le rapport recommande la création de modèles de prévision écosystémique qui, à l’instar des prévisions météorologiques, peuvent tenir compte des nombreux facteurs et prévoir l’impact de l’évolution des charges en éléments nutritifs sur les populations de poissons.

D’ici-là, les pêcheurs devront peut-être rajuster leurs attentes au sujet de la taille et du nombre de prises dans certaines régions des Grands Lacs, ou raconter des histoires de pêcheur!

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Allison Voglesong Zejnati
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Allison Voglesong Zejnati is public affairs specialist at the IJC’s Great Lakes Regional Office in Windsor, Ontario.

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