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Résilience aux crues du lac Érié et de la rivière Niagara

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Chrissy Chiasson
IJC
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Kevin Bunch
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Ces dernières années, les collectivités riveraines des Grands Lacs, petites et grandes, ont fait face à de nombreux défis posés par le niveau extrêmement élevé des lacs. Cette situation a occasionné d’importantes difficultés pour de nombreuses personnes dont le gagne-pain dépend des lacs. Certaines collectivités ont réalisé des investissements importants pour adapter leur littoral afin de mieux résister aux inondations et à l’érosion.

Selon la National Oceanic and Atmospheric Administration des États-Unis, la notion de résilience appliquée aux collectivités est la capacité à « rebondir » après des événements dangereux comme des ouragans, des tempêtes côtières ou des inondations, plutôt que de simplement réagir aux impacts de ces phénomènes. Depuis des décennies, la CMI se concentre sur les effets des épisodes de crue et d’étiage dans les Grands Lacs. Après les niveaux d’eau records de la fin des années 1980, les gouvernements du Canada et des États-Unis ont demandé à la CMI de se mettre en quête de solutions.

C’est ainsi qu’a été publié un rapport en 1993 sur les conséquences néfastes de la fluctuation du niveau des eaux dans le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, intitulé : « Alleviating the Adverse Consequences of Fluctuating Water Levels in the Great Lakes and St. Lawrence River Basin ». Plus récemment, la CMI a décidé de revisiter le sujet par l’entremise de son Comité de gestion adaptative des Grands Lacs ‒ qui étudie la meilleure façon de gérer les débits sortants des rivières St. Marys, Niagara et Saint-Laurent à l’ère des changements climatiques ‒ et de son Conseil de la qualité de l’eau des Grands Lacs qui a publié un rapport sur la résilience en 2019.

La CMI n’est pas la seule à s’intéresser à ce problème, car les États, les provinces, les gouvernements autochtones et les administrations locales doivent composer avec l’évolution des niveaux d’eau des Grands Lacs. Le présent article est le premier d’une série qui explorera cette question et mettra en exergue les solutions novatrices appliquées par les collectivités riveraines des lacs pour s’adapter à l’actuelle période de crues.

Pleins feux sur le lac Érié et le bassin versant de la rivière Niagara

Le lac Érié est le plus petit des Grands Lacs sur le plan du volume, mais ses rives sont les plus densément peuplées. Quatre États, une province et plusieurs grandes villes le bordent, dont Cleveland (Ohio), avec une population de plus de 2 millions d’habitants. Les activités liées aux lacs, dont la navigation commerciale, la navigation de plaisance et le tourisme, contribuent grandement à l’économie régionale. Cependant, l’érosion, avec son cortège de conséquences économiques, est un problème majeur pour ces collectivités riveraines.

L’aménagement du littoral lié à la croissance de nombreuses villes en bordure de lac s’est traduit par une plus grande vulnérabilité à l’érosion. Selon une étude nationale sur la gestion des rives réalisée en 2018 par le US Army Corps of Engineers sur le lac Érié, près d’un quart du littoral a été aménagé en dur pour protéger les collectivités riveraines.

Il arrive souvent que de telles structures en dur exacerbent l’érosion dans les zones avoisinantes parce qu’elles perturbent l’accumulation naturelle de sédiments qui contribue normalement à la protection des plages et des falaises contre l’action des vagues. Dans son étude, le US Army Corps prédit que les changements climatiques aggraveront le problème en augmentant le taux d’érosion dans les prochaines années. Les tempêtes dans la région des Grands Lacs devraient s’intensifier, les fluctuations du niveau d’eau étant plus importantes et la couverture de glace étant réduite, les vagues hivernales déferleront de plus belle sur les berges.

Que font les collectivités riveraines du lac Érié et de la région de la rivière Niagara pour lutter contre les répercussions associées aux crues et à l’action des vagues qui érodent les berges?

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Berge du lac Érié en Ohio. Crédit photo : Shutterstock

Étude des berges

La municipalité de Chatham-Kent (Ontario) est située sur la rive nord-ouest du lac Érié. L’administration locale a entrepris une importante étude des berges pour déterminer en quoi les changements climatiques contribuent aux dommages côtiers et aux dangers qui sont autant de problèmes pour les collectivités de la région.

La municipalité compte surtout des entreprises agricoles et automobiles, mais elle appuie aussi l’écotourisme sur les plages, ainsi que les activités des parcs provinciaux et des aires de conservation à proximité. Par conséquent, et à en croire les représentants locaux, la préparation aux phénomènes de crue et d’étiage aidera à protéger Chatham-Kent dans l’avenir.

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Emplacement de Chatham-Kent en bordure du lac Érié. Crédit photo : Zuzek Inc.

L’étude, qui a été lancée en 2017 après des inondations, prévoit une évaluation de la vulnérabilité des rives sur 120 kilomètres (environ 74,5 milles) grâce à une importante participation de la population, indique Thomas Kelly, directeur général des services d’infrastructures et de génie de la municipalité de Chatham-Kent.

Une ébauche de rapport, préparée en partenariat avec la Lower Thames Valley Conservation Authority, le cabinet de consultants Zuzek Inc. et l’Université de Waterloo, a été publié en avril 2020. Elle contient des recommandations détaillées pour divers projets d’atténuation et d’adaptation. Ce document a été présenté au Conseil de Chatham-Kent le 4 mai dernier.

M. Kelly nous apprend que l’étude a été conçue pour tenir compte des actuelles conditions de crue et des répercussions de l’érosion et des inondations, ainsi que de la façon dont les changements climatiques toucheront probablement la région dans les décennies à venir. Bien qu’une dizaine de recommandations soient à l’étude en vue du rapport final, M. Kelly indique déjà que la priorité sera accordée à la modification du tracé des routes les plus exposées, soit en front de lac.

« Ces routes ne sont même pas fréquentables », nous affirmait M. Kelly le 20 août, ajoutant que l’eau du lac vient lessiver la route. Il nous a indiqué qu’un million de dollars canadiens avait déjà été dépensé pour essayer de protéger la promenade Erie Shore par la consolidation d’une digue afin d’empêcher les eaux de passer, mais que ce n’ était pas là une solution à long terme.

Le rapport souligne également les risques pour la baie Rondeau en raison d’une jetée construite en 1868 qui protège une plage à proximité et permet à des sédiments sablonneux du lac de s’y déposer. Cela affecte une autre plage barrière dans la baie, qui perd ses propres sédiments et son propre sable en raison de l’emplacement de la jetée.

En tout, la barrière de la baie Rondeau a perdu 650 mètres (2 132 pieds) depuis l’installation de la jetée. M. Kelly est d’avis que cela expose la baie et les collectivités riveraines aux vents et aux vagues du lac Érié, avec les dangers que cela sous-entend pour les infrastructures, pour les collectivités et pour l’écologie unique de la baie. Dans d’autres zones, il sera éventuellement nécessaire de hausser ou de déplacer des structures là où les digues de protection et les autres mesures ne suffisent pas.

L’étude est une étape importante pour la municipalité, qui doit commencer à accorder la priorité à la protection et à l’assainissement des zones très exposées, compte tenu des actuels niveaux d’eau élevés, fait valoir M. Kelly. Elle permettra par ailleurs aux autres collectivités du lac Érié qui sont aux prises avec des défis semblables de tirer des leçons importantes.

Une évaluation environnementale est en cours pour recueillir plus de données et pour établir de meilleures estimations de prix, mais le rapport actuel prévoit déjà que l’ensemble des recommandations pourrait revenir à plus de 131 millions de dollars canadiens.

Comme il s’agit d’un montant trop élevé pour être financé par la municipalité locale, M. Kelly juge qu’il faudrait probablement réfléchir une façon de répartir au mieux les coûts entre le gouvernement provincial, le gouvernement fédéral, Chatham-Kent et les propriétaires riverains. Il sera aussi très important, précise-t-il, de veiller à ce que, lorsque le niveau d’eau diminuera, ces leçons et ces considérations ne soient pas oubliées, comme ce fut le cas après la période de crues de 1986-1987.

Création de berges vivantes

Il y a d’autres exemples de collectivités de bassins versants qui mettent déjà en œuvre des approches novatrices pour développer des rivages plus résilients.

Par exemple, le programme Living Shorelines de Buffalo Niagara Waterkeeper, dans l’État de New York, aide à rétablir des zones de transition plus naturelles entre le lac et la terre, là où les berges sont actuellement « bétonnées » et vulnérables. Le programme met l’accent sur la restauration des berges dégradées dans tout le bassin versant de la rivière Niagara afin de les renforcer pour qu’elles résistent à l’érosion en mieux absorbant et en atténuant l’énergie des vagues, les eaux de crue et les ondes de tempête. Cette approche de verdissement des surfaces présente d’autres avantages, comme l’amélioration de la qualité de l’eau par le filtrage des eaux de ruissellement, la création d’un habitat favorable à de nombreuses espèces de poissons et espèces sauvages, l’amélioration de l’accès du public et l’amélioration des possibilités récréatives comme le kayak. 

Le programme a permis de réaliser plusieurs projets, dont la revitalisation du parc Sandy Beach, situé dans la partie nord de l’île Grand, sur la rivière Niagara. À cet endroit, Buffalo-Niagara Waterkeeper a remplacé les batardeaux en tôle et en béton, qui bordaient auparavant la berge, par l’aménagement d’une pente graduelle et par l’ajout de caractéristiques naturelles, comme des rochers, des roches et des billes de bois, afin de dissiper l’action des vagues causant l’érosion. Le projet comprenait également l’introduction d’espèces de plantes aquatiques indigènes destinées à peupler une zone tampon naturelle, encore une fois pour atténuer l’action des vagues et contribuer à lutter contre l’érosion grâce à leurs systèmes racinaires solides.

La revitalisation de la réserve Stella Niagara, située près de Lewiston le long du cours inférieur de la rivière Niagara, en partenariat avec la New York Land Conservancy, est un autre projet Living Shoreline. Celui-ci a permis de réaménager les berges de la réserve de 29 acres par le remplacement de ce qui était essentiellement une rive bétonnée par des débris naturels et des plantes indigènes. La revitalisation du secteur visait à améliorer l’accès aux activités récréatives et à créer des habitats essentiels pour les espèces indigènes. Selon les représentants de Waterkeeper, le projet a amélioré l’accès à l’eau pour les pagayeurs, l’accès au secteur riverain pour le public, ainsi que la qualité de l’eau et la stabilité des berges.

Comprendre comment les changements climatiques accéléreront l’érosion des rives pourra aider les collectivités du lac Érié à prioriser les mesures visant à atténuer les impacts futurs.

Des études comme celle de Chatham-Kent présentent des avantages pour d’autres collectivités riveraines du lac Érié qui tentent d’élaborer des plans de résilience des berges. Le travail effectué par des groupes comme Buffalo Niagara Waterkeeper pour recréer des berges vivantes est également essentiel pour assainir une grande partie du littoral du lac qui a été bétonnée sous l’effet du développement riverain.

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Chrissy Chiasson
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Christina Chiasson is a policy analyst for the Canadian Section of the IJC in Ottawa, Ontario.

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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