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Prédire et prévenir la propagation de l’hydrille

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Kevin Bunch
Photo of Hyrilla algae in lake

 

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Tapis formé par l’hydrille, espèce envahissante, découvert en août 2011 dans le ruisseau West, dans le système Cleveland Metroparks. Photo: Jennifer Hillmer

Une plante aquatique envahissante rustique et agressive a fait son chemin vers le nord et a atteint quelques sites à proximité des Grands Lacs. Cette plante, l’hydrille, fait l’objet d’une initiative binationale visant à comprendre sa propagation et déterminer les mesures qui peuvent être prises avant qu’elle ne s’établisse. Dans certains États, comme en Ohio, son empiètement dans les Grands Lacs a mené à la mise en œuvre de longues mesures d’éradication très près du rivage de ceux-ci, à Cleveland, et des recherches sont réalisées en vue d’améliorer les prédictions quant à sa progression au cours des années à venir. En Ontario, les autorités responsables s’emploient à maintenir l’hydrille hors de la province.

L'hydrille s’enracine dans le lit sableux et riche en matière organique de tous les cours et plans d’eau où elle s’établit, peut produire des tiges de jusqu’à 9 mètres (30 pieds) de longueur et forme de denses tapis près de la surface. Chaque tige comporte des verticilles de petites feuilles dentées en scie visibles à l’œil nu. L’hydrille supplante les espèces indigènes en exerçant une concurrence pour les nutriments et peut survivre dans une variété de conditions selon Mark Warman, coordonnateur du projet visant l’hydrille pour Cleveland Metroparks.

Elle peut tolérer un ensoleillement moindre que les plantes indigènes et des milieux à faible teneur en dioxyde de carbone, et elle pourrait tirer avantage des ruissellements d’azote et de phosphore dans le lac Érié pour y prendre de l’expansion. L’hydrille peut s’établir à une profondeur de jusqu’à 15 mètres (49 pieds) et est capable de passer l’hiver dans les milieux froids tels que ceux qui entourent les Grands Lacs.

De plus, l’hydrille possède plusieurs stratégies de reproduction et de survie. Selon Mark Warman, l’hydrille peut se reproduire au moyen de ses graines, mais elle peut également se multiplier par fragmentation; un fragment qui se détache d’une plante peut continuer de pousser par ses deux extrémités et cherche à s’enraciner. La sauvagine peut être un vecteur de transport, et des études ont montré que le tubercule de l’hydrille peut survivre et pousser après avoir été régurgité. Enfin, l’hydrille survit à l’hiver grâce à ses tubercules et à ses turions (un type de petits bourgeons), qui peuvent être déplacés par le lessivage des sédiments ou par les inondations.

Le principal risque est associé aux fragments de la plante qui demeurent fixés à l’équipement de pêche, aux bateaux et aux remorques, affirme Warman. Son équipe préconise une formation adéquate sur l’inspection des bateaux, fournit l’infrastructure nécessaire au nettoyage convenable de ceux-ci et informe les membres de la communauté qu’ils doivent nettoyer leurs bateaux, en évacuer l’eau et les faire sécher.

L’hydrille pourrait rapidement se propager à une rampe de mise à l’eau ou à une marina, de sorte qu’il serait difficile d’y faire circuler des bateaux sans que des mesures de gestion de l’espèce doivent être appliquées, ajoute Warman. Selon la National Oceanic and Atmospheric Administration des États­Unis, l’hydrille a causé des millions de dollars de dommages aux installations d’irrigation et d’hydroélectricité dans le sud-est des États-Unis, et les industries locales de la pêche et du tourisme ont également souffert de l’arrivée de l’espèce.

Les denses tapis d’hydrille à la surface de l’eau causent non seulement des problèmes aux plaisanciers et aux pêcheurs, mais également aux systèmes d’irrigation et de captage d’eau, affirme Francine MacDonald, biologiste principale des espèces envahissantes du ministère des Richesses naturelles et des Forêts (MRNF) de l’Ontario. Ces tapis peuvent également nuire à l’abondance et à la répartition des poissons dans les zones où on les retrouve, car ils modifient l’habitat et supplantent les plantes indigènes, selon MacDonald.

En plus des embarcations, le commerce des jardins d’eau représente une autre importante voie pour la dispersion de l’hydrille, selon Macdonald. L’hydrille peut être confondue avec d’autres espèces ou se retrouver parmi les racines d’autres plantes aquatiques. L’hydrille est une espèce interdite aux termes de la Loi de 2015 sur les espèces envahissantes, de sorte qu’il est illégal de l’importer, de la posséder, de la déposer, de la mettre en liberté, de la transporter, de la cultiver, de la vendre, de la louer ou de l’échanger dans la province. La loi comprend également des mesures visant à favoriser le contrôle et l’éradication de telles espèces lorsqu’elles se retrouvent en Ontario; toutefois, l’hydrille n’a pas été détectée au nord des États-Unis jusqu’à maintenant.

Il est difficile d’éradiquer totalement l’espèce dans une zone donnée. Selon Warman, l’hydrille a été détectée pour la première fois dans le système Cleveland Metropark en 2011, dans le bassin de la rivière Cuyahoga, à six emplacements (des milieux humides artificiels dans tous les cas), et un plan d’intervention rapide comprenant l’application d’herbicides a été mis en œuvre. Ces traitements faisant appel à des herbicides à base de fluridone peuvent s’échelonner sur 7 à 10 ans. Cette année, un seul tubercule a été trouvé; aucun tissu végétatif d’hydrille n’a été détecté après 2016 au site où l’espèce avait initialement été découverte. Hormis les herbicides, diverses autres méthodes peuvent être utilisées pour lutter contre l’hydrille, selon les renseignements fournis par le programme New York Sea Grant et l’Université Cornell. L’utilisation d’appareils de coupe mécaniques est coûteuse (environ 1 000 $US l’acre) et est associée à un risque que des fragments soient emportés ailleurs; il en va de même pour les appareils utilisés pour aspirer les plantes. Les méthodes de lutte biologique faisant appel à d’autres espèces non indigènes comportent des risques et ont eu des résultats variables en Floride; la carpe de roseau a permis d’éliminer l’espèce dans de petits lacs, mais elle serait nuisible à d’autres égards dans les Grands Lacs. L’abaissement du niveau de l’eau, lorsque possible, peut permettre d’assécher l’hydrille, mais les tubercules peuvent survivre à ce procédé et recommencer à pousser lorsque le niveau de l’eau revient à la normale, et cette méthode peut nuire aux plantes indigènes.

L’hydrille n’a pas été détectée dans le cadre de recherches additionnelles menées dans le bassin de la rivière Cuyahoga, à l’extérieur des Metroparks, mais Warman demeure vigilant. Le commerce et la vente de l’espèce sont interdits sans permis par les lois fédérales aux États-Unis, mais Warman croit que celle­ci a illégalement été déversée avec d’autres plantes d’aquarium et a ainsi été initialement introduite dans les Metroparks.

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Une hydrille munie de son tubercule, prélevée en mai 2012 dans le ruisseau West, dans le système Cleveland Metropark. Photo : Jennifer Hillmer

Même si l’hydrille n’est pas présente dans les Metroparks de l’Ohio pour le moment, elle poursuit sa progression vers le nord depuis le sud des États-Unis. Kristen Hebebrand, étudiante à la maîtrise à l’Université Toledo, étudie la propagation de l’hydrille vers le nord et en fait la modélisation, en collaboration avec d’autres chercheurs de l’US Army Corps of Engineers (USACE) du district de Buffalo, de l’Engineering Research and Development Center de l’USACE, de la Texas Technical University, de l’Université d’État de la Caroline du Nord et d’Ecology and Environment Inc. travaillant à la création d’un outil d’évaluation du risque.

Cette évaluation vise à déterminer les emplacements les plus susceptibles d’être envahis par l’hydrille dans les Grands Lacs, d’après les probabilités d’introduction et la présence de conditions environnementales favorables à l’espèce. Cette évaluation et les travaux connexes sont menés dans le cadre de l’Aquatic Plant Control Research Program de l’USACE et sont financés par la US Great Lakes Restoration Initiative.

 

La modélisation est fondée sur une approche par bassin versant aux États-Unis et est axée sur le transport accidentel par voie terrestre par des bateaux de plaisance. Dans l’ensemble, selon Hebebrand, l’hydrille devrait poursuivre sa progression dans les zones déjà infestées, et les bassins versants voisins de ces zones seront les plus à risque d’infestation. L’étude d’Hebebrand n’est pas terminée, mais selon les résultats préliminaires présentés en juin lors de la conférence de l’Association internationale de recherche des Grands Lacs, la progression de l’espèce d’ici 2025 sera principalement observée dans les bassins versants situés immédiatement au sud et à l’ouest du lac Érié, dans le bassin du lac Sainte­Claire et de la rivière Détroit ainsi que dans les bassins entourant les portions sud-est et sud-ouest du lac Ontario, qui sont déjà infestés. De plus, la présence de l’hydrille devrait augmenter autour des bassins de la rivière Ohio et du fleuve Susquehanna, au sud du lac Érié, selon l’étude en cours.

 

Hebebrand espère que, une fois le projet d’évaluation du risque terminé, les gestionnaires et responsables pourront utiliser les résultats de celui-ci pour orienter leur prise de décisions quant à la détection précoce et à la priorisation des mesures de surveillance visant l’hydrille. Selon Hebebrand, elle devrait avoir terminé sa portion du travail d’ici quelques mois, mais le on travail se poursuit.

 

MacDonald souligne que le MRNF utilise un programme binational sur les espèces envahissantes pour suivre la propagation de l’hydrille et favoriser la détection de l’hydrille et d’autres organismes nuisibles envahissants, nommé « Early Detection and Distribution Mapping System ». Selon MacDonald, en plus du service d’assistance téléphonique sur les espèces envahissantes, il est important de déployer un outil permettant aux citoyens et aux groupes de conservation de signaler les observations possibles de l’hydrille et d’autres plantes envahissantes. De plus, le MRNF évalua la possibilité d’utiliser l’analyse de l’AND environnemental pour favoriser la détection précoce des plantes, avant que celles-ci ne soient observées.

 

L’US Army Corps of Engineers du district de Buffalo collabore avec Ecology and Environment Inc. en vue de mettre sur pied une initiative de collaboration à l’échelle du bassin versant visant à lutter contre l’hydrille. Ce projet en est à ses débuts, mais Ecology and Environment Inc. espère ouvrir, au cours des prochains mois, un site Web offrant une plateforme aux gestionnaires pour qu’ils puissent échanger sur les leçons tirées et partager des renseignements techniques.

 

Enfin, les gouverneurs des États et premiers ministres des provinces des Grands Lacs se sont officiellement engagés à prendre conjointement des mesures de prévention et de lutte visant les espèces aquatiques envahissantes, y compris l’hydrille. MacDonald indique que ces mesures comprennent une entente d’aide mutuelle pour la lutte contre les menaces communes dans le bassin; la participation de l’Ontario n’a toutefois pas été sollicitée jusqu’à maintenant dans le cadre des mesures d’éradication de l’hydrille. Les renseignements sur les mesures de lutte sont communiqués régulièrement par l’entremise d’organisations telles que le Great Lakes Panel on Aquatic Nuisance Species et le Groupe de travail de la Conférence des gouverneurs et des premiers ministres des Grands Lacs et du Saint-Laurent.

 

Kevin Bunch est rédacteur spécialiste des communications au bureau de la Section américaine de la CMI, à Washington D.C.

 

 

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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