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Les participants à une séance de l’IAGRL explorent le concept de « vision binoculaire » par le prisme du savoir autochtone et de la science occidentale

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Les méthodes de gestion des écosystèmes des Grands Lacs reposent essentiellement sur la science occidentale. Récemment, toutefois, les scientifiques ont pris davantage conscience de la nécessité d’intégrer le savoir écologique autochtone à la prise de décisions concernant l’environnement et de jeter des passerelles entre savoir moderne et savoir traditionnel. Cette démarche fait souvent appel au concept mi’kmaq d’Etuaptmumk, soit la « vision binoculaire ».

Celle-ci est axée, d’une part, sur la prise en compte du savoir écologique autochtone et, d’autre part, sur l’apprentissage de l’autre façon d’appréhender la science, celle de l’Occident. Elle reconnaît les avantages considérables de la combinaison de multiples formes de savoirs comme moyens de parvenir à une meilleure compréhension des choses.

Afin de favoriser la diffusion des principales leçons tirées par les praticiens de la « vision binoculaire », la Commission des pêches des Grands Lacs a organisé une discussion sur ce thème lors de la conférence virtuelle de 2021 de la International Association for Great Lakes Research (IAGLR). Cette discussion s’inscrivait d’ailleurs dans le cadre d’une séance plus vaste intitulée « Bridging knowledge systems between Indigenous and non-Indigenous communities » (Passerelle entre savoirs autochtones et non-autochtones) à laquelle ont participé 41 intervenants, dont des scientifiques occidentaux et autochtones, des gardiens du savoir et d’autres spécialistes, certains ayant « un pied sur chaque berge ».

Les participants ont été placés dans des salles de réunion pour une discussion semi-structurée lors de laquelle ils ont échangé sur leurs expériences du rapprochement entre les systèmes occidentaux et autochtones ainsi que les possibilités et les défis que présente une telle démarche.

Édification, respect et engagement

Après la séance en petits groupes, des porte-paroles des groupes ont fait rapport des principales recommandations découlant de leurs discussions. On peut, de façon générale, regrouper leurs recommandations en trois catégories, soit l’instauration de relations, le respect de l’histoire des communautés autochtones et l’engagement à tirer un avantage mutuel.

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La baie Georgienne (lac Huron), prise de la péninsule Bruce. Photo : Kaitlin Almack, MRNO

Pour collaborer efficacement avec les communautés autochtones, il faut s’engager à établir avec elles des relations éthiques fondées sur le respect. L’une des questions qui a régulièrement été posée lors de la séance est la suivante : « J’aimerais travailler sur tel sujet; comment dois-je m’y prendre pour aborder la communauté autochtone? »

Les participants ont recommandé de se concentrer sur l’instauration d’une relation solide avec la communauté et sur la découverte des intérêts de cette communauté en matière de recherches ainsi que sur ses besoins en la matière. Un bon premier pas vers l’établissement d’une relation solide consiste à travailler avec la communauté pour trouver une personne-ressource clé en vue d’entamer la discussion sur les intérêts et les préoccupations en recherche.

Des réunions informelles, comme lors d’un repas, favorisent les contacts entre les membres de la communauté et les scientifiques en marge des rôles habituels de chacun, et facilitent l’instauration d’une relation de confiance. Lors de la séance, il a également été recommandé d’établir des relations durables avec les jeunes et de les inclure dans des programmes établissant un lien entre le savoir écologique autochtone et les connaissances scientifiques occidentales, de mettre l’accent sur l’apprentissage par l’expérience et d’encourager les jeunes à s’inscrire dans les établissements d’enseignement.

Pour travailler avec les communautés autochtones, il faut prendre le temps de s’informer auprès d’elles sur l’histoire, les valeurs, la langue et la vision du monde de leur nation. Autrement dit, il faut aborder chaque discussion avec une sensibilité culturelle et une volonté de comprendre et d’appréhender l’histoire et les déséquilibres de pouvoir qui y sont associés. Par-dessus tout, les scientifiques occidentaux doivent comprendre que le savoir est multiforme et que de nombreux projets de recherche pourraient bénéficier de l’approche « binoculaire ». 

Tout au long du processus d’instauration de la relation avec une communauté, il est important de se concentrer sur les intérêts et les besoins mutuels, et de mener des recherches éthiques pour obtenir des résultats qui soient mutuellement bénéfiques. 

Deux éléments fondamentaux de la recherche éthique sont ressortis lors des discussions de groupe : le partage de l’information et la communication efficace des résultats. En fin de compte, toutes les données documentées à partir des systèmes de savoir autochtones devraient être traitées selon les principes reconnus de la propriété, du contrôle, de l’accès et de la possession (PCAP). Ce référentiel, géré par le Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations, garantit aux Autochtones la possibilité de faire valoir leur droit inhérent de prendre des décisions éclairées sur la façon dont leurs données, leurs informations et leur savoir culturels sont recueillis, consultés, utilisés et partagés.

Bien que les modes de savoir autochtones soient très différents des méthodes scientifiques occidentales d’acquisition des connaissances et qu’ils puissent fournir des renseignements novateurs sur les écosystèmes des Grands Lacs, la collaboration avec les détenteurs du savoir autochtone doit aller au‑delà de la simple utilisation de ces savoirs pour mieux comprendre les ressources naturelles et pour progresser sur la voie de la pleine reconnaissance de la souveraineté du savoir autochtone.

Les peuples autochtones détiennent une mine de connaissances multigénérationnelles fondées sur leur vécu. Les scientifiques ont un rôle important à jouer dans l’avancement de la réconciliation nécessaire au rétablissement de la confiance et du respect entre communautés autochtones et non autochtones.

La participation des communautés autochtones selon l’approche binoculaire est un résultat concret, axé sur l’action, de l’appel à l’action lancé par la Commission de vérité et réconciliation du Canada, ainsi que des principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cela exige un changement fondamental dans la façon dont nous menons la recherche, enseignons et apprenons ensemble.

Les idées tirées de la séance de dialogue sont actuellement compilées, et les présidents des séances travailleront en collaboration avec les participants à l’élaboration conjointe des états de la réunion. Ceux-ci paraîtront dans une prochaine section spéciale du Journal of Great Lakes Research qui portera sur le rapprochement des systèmes de savoir. Si vous souhaitez soumettre une contribution à ce numéro spécial, communiquez avec Nick Boucher à nboucher@glfc.org.

Kaitlin Almack, du ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario, Alex Duncan et Andrea Reid, du Centre des pêches autochtones de l’Université de la Colombie-Britannique, ont également contribué à cet article.

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