L’article suivant est tiré d’un bulletin archivé. Consultez notre bulletin Eaux partagées.

Les Goélands argentés, sentinelles des cieux

kevin bunch
Kevin Bunch
herring gull eggs saginaw bay

 

Goéland argenté couvant ses œufs sur une rive de la baie Saginaw
Goéland argenté couvant ses œufs sur une rive de la baie Saginaw. Source : Fish and Wildlife Service, États Unis

Depuis les années 1970, les chercheurs des Grands Lacs peuvent compter sur un ami pour les aider à en savoir plus sur les polluants chimiques présents dans les eaux et le réseau trophique : le Goéland argenté. À mesure que les vieux contaminants sont progressivement éliminés du système et que de nouveaux les remplacent, les prélèvements réalisés chez ces sentinelles des cieux sont plus important que jamais.

Le Service canadien de la faune d’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) prélève des œufs de Goéland dans 15 sites du bassin des Grands Lacs tous les printemps depuis la mise en œuvre de son programme de surveillance des contaminants dans les œufs des Goélands argentés des Grands Lacs en 1974, indique Robert Letcher, un chercheur en chimie et en écotoxicologie d’ECCC.

« Le Goéland argenté a été choisi étant donné sa présence et l’étendue des sites de nidification dans la région des Grands Lacs, affirme M. Letcher. Comme il occupe le sommet du réseau trophique aquatique en tant qu’oiseau piscivore, il s’agit donc d’une bonne espèce indicatrice ou sentinelle, qui nous renseigne sur les substances chimiques qui pénètrent dans le réseau trophique aquatique. »

Les œufs prélevés dans le cadre de la collaboration binationale entre chercheurs canadiens et américains se sont avérés des indicateurs essentiels de la santé des Grands Lacs. Dans le rapport de 2017 sur l’état des Grands Lacs de la collaboration canado‑américaine, l’indicateur de la présence de polluants était les œufs de Goéland argenté, et les données sur cet indicateur figurent aussi dans la Première évaluation triennale de la Commission mixte internationale.

Les chercheurs examinent les œufs pour y déceler des contaminants transmis par les parents (un processus appelé bioaccumulation) et peuvent mesurer ces contaminants dans les espèces situées au sommet du réseau trophique. Ils déterminent aussi l’épaisseur de la coquille, recensent la mortalité des embryons et la difformité des fœtus, évaluent le nombre de Goélands qui nichent dans un site en particulier – tous des indicateurs de l’état de la reproduction – et utilisent des isotopes pour connaître l’évolution du régime alimentaire de ces oiseaux.

Les chercheurs comparent ensuite ces facteurs entre colonies. Comme les sites de prélèvement sont toujours les mêmes et que les analyses en laboratoire sont effectuées selon le même protocole tout au long du programme, une base de données exhaustive a été élaborée au fil du temps, explique M. Letcher. Les échantillons sont conservés à long terme à la Banque nationale de spécimens d’espèces sauvages à Ottawa et peuvent être l’objet d’un sous‑échantillonnage permettant de détecter d’autres substances chimiques qui pourraient devenir prépondérantes dans le futur.

Le Fish and Wildlife Service (FWS) des États‑Unis a coopéré avec le Service canadien de la faune et ECCC au prélèvement d’œufs dans d’autres colonies pendant la durée du programme. Récemment, il a collaboré avec l’État du Michigan pour ajouter dix autres sites riverains du côté américain des lacs, signale Lisa Williams, chef du service sur les contaminants environnementaux et biologiste des services écologiques au bureau local du FWS au Michigan. Les échantillons provenant des États‑Unis sont généralement expédiés au même laboratoire d’ECCC pour que les analyses et la méthodologie scientifique soient les mêmes, dans la mesure du possible, et sont aussi conservés à Ottawa. Le financement de la Great Lakes Restoration Initiative des États‑Unis a joué un rôle crucial dans l’augmentation du nombre de sites et de substances chimiques analysées.

Les contaminants présents lors des débuts du programme, comme les biphényles polychlorés (BPC) ou le DDT, sont interdits depuis longtemps, et les concentrations ont connu une diminution constante à la fin des années 1970, avant d’atteindre un plateau dans la dernière décennie, affirme M. Letcher. Les contaminants éliminés plus récemment, comme les polybromodiphényléthers (PBDE), ont montré des signes de baisse au cours des dernières années chez le Goéland argenté, en raison du délai attribuable à l’élimination des substances chimiques par le système.

La concentration des BPC
La concentration des BPC a connu une baisse dans les œufs de Goéland argenté et dans les poissons depuis 1975, mais s’est stabilisée au dessus de zéro au cours des dix dernières années. Source : Rapport d’évaluation triennal de la CMI, ébauche du rapport sur l’état des Grands Lacs présenté au forum public sur les Grands Lacs

À l’opposé, les quantités de mercure n’ont pas diminué beaucoup depuis les débuts de la surveillance dans les années 1970, d’après M. Letcher. Aussi, avec l’arrivée constante de nouvelles substances chimiques dans les lacs, un plus grand nombre de contaminants sont examinés à l’aide des œufs de Goéland argenté.

Parmi ces substances, on compte les substances polyfluoroalkylées (SPFA), les sulfonates de perfluorooctane (SPFO) et les substances apparentées. Le fabricant 3M a graduellement arrêté la production de SPFO au début des années 2000, mais ces substances sont encore produites ailleurs dans le monde, et c’est pourquoi les concentrations n’ont pas baissé dans les œufs de Goéland dans le temps, déclare M. Letcher. Le paysage urbain contient toujours de grandes quantités de SPFO et de SPFA qui pénètrent dans les lacs et le réseau trophique.

Certains sites ne sont plus l’objet de prélèvements, car les oiseaux les ont abandonnés en raison de la dégradation du lieu, par exemple l’île Fighting dans la rivière Detroit, ou d’une préférence naturelle pour d’autres sites de nidification, mentionne M. Letcher. Cependant, d’autres colonies, comme celles à l’embouchure de la rivière Raisin au Michigan, connaissent une variation annuelle du succès de la reproduction, selon Mme Williams. Dans ces sites, on continue à observer des indications d’un système immunitaire affaibli chez les Goélands, même si les contaminants du passé sont à la baisse. D’après elle, cela laisse croire que s’il y a suffisamment de facteurs de stress dans une année donnée, les oiseaux ne vont pas se reproduire avec autant de succès.

Par ailleurs, d’après elle, les résultats de la recherche semblent aussi indiquer que les Goélands argentés des zones contaminées peuvent descendre d’oiseaux plus tolérants à ces substances chimiques et, donc, capables de se reproduire avec succès, bien que cette reproduction se fasse peut‑être au détriment d’autres aspects de leur santé.

« Les Goélands argentés peuvent être les canaris des Grands Lacs, affirme Mme Williams. Ils nous aident à savoir, quand des composés sont éliminés, à quelle vitesse le système réagit à cette élimination et à quel moment les concentrations baissent sous le seuil de préoccupation.

« Le message qu’il faut retenir est de ne pas rejeter de substances chimiques bioaccumulables dans l’environnement. » 

kevin bunch
Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

Abonnez-vous à notre bulletin !

Formulaire d'inscription