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Les changements climatiques rendent la restauration des habitats essentielle à la survie de certaines espèces

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Kevin Bunch
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Les changements climatiques altèrent le cri sexuel de la rainette crucifère au printemps. Source : Brad Carlson

Le développement humain fragmente les environnements naturels du bassin des Grands Lacs, un phénomène qui nuit aux espèces dont la survie dépend de ces habitats. De plus, il est fort possible que les changements climatiques aggravent le problème. Ce n’est pas une grande surprise pour les gens et les organisations qui s’affairent à restaurer les habitats et la connectivité du milieu, toutefois, vu que les changements climatiques sont au sommet de leurs préoccupations depuis près de dix ans.

Sur la rive américaine des Grands Lacs, le financement prévu par l’initiative de restauration des Grands Lacs (GLRI) aide à soutenir les efforts de restauration de l’habitat depuis sept ans. La National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) américaine a eu recours aux fonds de la GLRI pour évaluer la façon dont les changements climatiques influencent les activités de restauration et de protection des habitats. Les groupes qui soumettent une demande de financement dans le cadre de la GLRI pour un projet de restauration d’habitat devraient envisager comment les changements climatiques pourraient influencer leurs efforts dans l’avenir, confie Heather Braun, gestionnaire du programme de conservation du littoral et de restauration des habitats de la Commission des Grands Lacs à Ann Arbor, au Michigan.

« Les demandeurs disposent d’une multitude de ressources sur lesquelles s’appuyer pour élaborer des projets tenant compte des changements climatiques », poursuit Mme Braun.

L’incertitude quant à l’avenir complique la planification; comme certains modèles indiquent que le niveau de l’eau pourrait augmenter, tandis que d’autres indiquent qu’il pourrait diminuer, les projets de restauration devraient inclure ces deux éventualités. Mme Braun donne l’exemple d’un projet de restauration de terres humides qui pourrait prévoir la mise en place d’un système de contrôle des eaux ou d’une station de pompage pour permettre au milieu humide de subsister en cas de baisse du niveau de l’eau. Les habitats remis en état ont également besoin d’être capables de résister à l’intensification des tempêtes, qui se traduit par des vents violents, des vagues puissantes, des seiches (vagues poussées d’une extrémité à l’autre d’une étendue d’eau – voir le commentaire à la fin de l’article en anglais) et de la glace.

La réduction de la fragmentation des habitats fait partie intégrante des travaux de restauration et des efforts de la GLRI. Mme Braun indique qu’une attention particulière est accordée aux projets qui sont adjacents afin d’améliorer la connectivité des habitats, surtout dans la Baie de Saginaw au Michigan et la Baie Maumee en Ohio. Les changements climatiques modifieront inévitablement l’habitat de divers plantes et animaux, et la connectivité des habitats peut améliorer les chances de survie de ceux-ci.

Selon le rapport de 2013 d’Environnement et Changement climatique Canada intitulé Quand l’habitat est-il suffisant?, bon nombre d’espèces partout en Amérique du Nord ont déjà réagi aux changements climatiques : elles changent d’environnement, restent plus longtemps dans les aires de reproduction (oiseaux), ou émettent leurs cris sexuels plus tôt (amphibiens). Mais en raison de la complexité des espèces, de leurs besoins et de leurs environnements, il est extrêmement difficile d’évaluer les effets qui se manifesteront sur chaque région et habitat.

Les auteurs du rapport recommandent d’adopter une approche préventive visant à protéger et à restaurer davantage des écosystèmes complets, au lieu du minimum prévu de zones forestières, de milieux humides, de prairies et de zones riveraines nécessaire pour maintenir les populations d’espèces au-dessus du seuil d’extinction. Un écosystème mieux connecté et moins fragmenté saura davantage résister aux changements climatiques.

Sans la fragmentation des habitats, le réchauffement climatique enrichirait assurément la diversité biologique des régions plus au nord comme l’Ontario, selon Jeff Bowman, chercheur scientifique au ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario et enseignant à l’Université Trent. Mais les habitats fragmentés par l’activité humaine le long des Grands Lacs, comme les terrains marécageux côtiers du corridor Huron-Érié, empêcheraient le déplacement de la flore et de la faune vers le nord, ce qui se traduirait probablement par une diversité biologique moins riche que prévu.

Bien que les Grands Lacs agissent à titre de barrière naturelle pour une partie de ce déplacement, M. Bowman estime que les animaux peuvent tout de même traverser certaines zones clés, comme les voies interlacustres. Selon lui, les animaux peuvent franchir le bassin de la rivière à la Pluie à l’ouest du lac Supérieur, la rivière St. Marys, les voies interlacustres à l’est et à l’ouest du lac Érié et l’extrémité est du lac Ontario.

Les propriétaires fonciers peuvent prendre d’importantes mesures de protection, comme le prouve le projet de collaboration A2A qui regroupe des intervenants de l’État de New York, de l’Ontario et du Québec. Le groupe s’affaire à établir un corridor faunique entre le parc provincial Algonquin en Ontario et le parc Adirondack dans l’État de New York, qui comprendrait le parc national des Mille-Îles dans le fleuve Saint-Laurent. Nombre d’espèces empruntent cette voie depuis toujours pour se déplacer du nord au sud sur le continent nord-américain. Selon le site Web du projet, l’établissement d’une zone stable à différentes latitudes et sur divers habitats pourrait renforcer la résilience des populations biologiques dans le contexte des changements climatiques.

Le parc national des Mille-Îles
Le parc national des Mille-Îles, situé du côté canadien du fleuve Saint-Laurent.

L’introduction d’animaux du sud comme le petit polatouche et le lynx roux dans des environnements nordiques force ceux-ci à interagir avec des espèces existantes semblables. M. Bowman révèle que des croisementsentre le petit polatouche et le grand polatouche ont déjà été signalés en Ontario et qu’on craint que le lynx roux qui s’aventure dans les régions nordiques ne s’accouple avec le lynx.

« L’hybridation est l’une des conséquences prévues des changements climatiques, indique M. Bowman. Et le croisement des polatouches n’est que la première preuve de ce que nous appelons l’hybridation attribuable aux changements climatiques. »

On assiste également à un décalage entre la vitesse à laquelle les animaux pénètrent dans de nouvelles régions, et celle à laquelle s’établissent les plantes. M. Bowman indique que le petit polatouche, par exemple, se déplace plus vite que les arbres dans lesquels ils vivent et finit par être incapable de trouver des glands dans ses habitats du sud, ce qui provoque sa mort en hiver. Ainsi, même si le polatouche trouvait une région dont les températures lui conviennent, il devrait tout de même attendre que les arbres desquels il dépend croissent dans cette région.

M. Bowman ajoute que certains amphibiens semblent profiter des saisons de reproduction qui se prolongent en émettant des cris sexuels plus tôt dans l’année, ce qui pourrait leur donner un avantage concurrentiel en matière de disponibilité alimentaire, comparativement à leurs rivaux qui doivent attendre.

Les gestionnaires de projets de restauration d’habitats doivent équilibrer les objectifs de restauration à court terme et la variabilité climatique croissante et déterminer quelles espèces seront les plus aptes à survivre. Pour ce faire, ils doivent notamment anticiper la prolifération des espèces envahissantes et planifier pour une gestion à long terme, selon M. Braun.

flying squirrel
Les changements climatiques ont poussé le petit polatouche à vivre dans des habitats plus au nord déjà occupés par le grand pola

Il précise aussi que les espèces envahissantes comme le phragmiteprospèrent dans les habitats perturbés et les étendues dont le niveau d’eau est bas. Il est important d’anticiper ces changements et d’améliorer la coordination des efforts de gestion des espèces invasives pour réduire leur empiétement sur les zones récemment restaurées ou les habitats qui sont déjà perturbés, fragmentés ou touchés par les changements climatiques. Comme le taux de prolifération et d’infestation de cette espèce est extrêmement rapide et complique la mise en œuvre de solutions, il est essentiel que nous surveillions sa propagation et coordonnions les efforts à l’échelle des Grands Lacs.

L’amélioration de la résilience côtière du bassin des Grands Lacs aux changements climatiques constitue une préoccupation constante pour tous les États et les provinces périphériques. C’est en mettant en œuvre des solutions à long terme que nous pourrons mieux gérer cet important défi.

Kevin Bunch est rédacteur-spécialiste des communications au bureau de la section américaine de la Commission mixte internationale à Washington, D.C.

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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