Le personnel de la CMI
Les poissons se sont donné le mot et maintenant le gaspareau revient dans la rivière Ste-Croix.
Cette année, plus de 93 000 poissons entrant dans la rivière au barrage de Milltown au Nouveau-Brunswick ont été comptés. Il s’agit du nombre de poissons le plus élevé depuis 1998, année où on en avait dénombré environ 177 000. Cependant, les populations de gaspareaux ont encore une longue route à faire dans la rivière. Et les nombres élevés de cette année ne sont pas uniquement le résultat de la réouverture de la rivière.
La rivière Ste-Croix constitue une partie de la frontière canado-américaine entre le Nouveau-Brunswick et le Maine. Elle a été rouverte au gaspareau en 2013 après une fermeture de 18 ans.
Gaspareaux nageant dans un piège avant d’être relâchés dans la rivière Ste-Croix. Source : Fédération du Saumon Atlantique.
Le gouvernement du Maine a bloqué la rivière en 1995 pour empêcher la migration des gaspareaux vers leur frayère de crainte que les poissons indigènes nuisent aux populations d’achigans à petite bouche. Les études ont montré que ce n’était pas le cas, et les législateurs du Maine ont voté en avril 2013 en faveur du retrait des derniers obstacles de l’État dans la rivière Ste-Croix, aux barrages de Woodland et de Grand-Sault.
En règle générale, le gaspareau retourne à la rivière pour frayer aux trois ou quatre ans, affirme Abby Pond, ancienne directrice administrative de la Commission internationale de la rivière Ste‑Croix et gestionnaire du projet de dénombrement des poissons au barrage de Milltown.
« La rivière a été rouverte à temps pour la remontée de 2013 », a expliqué madame Pond. « Les augmentations seront probablement faibles au cours des trois prochaines années, et, si le poisson se rend au nouvel habitat, nous commencerons à voir des augmentations réelles après 2016 ou 2017. »
Migration des gaspareaux. Source : Fédération du Saumon Atlantique.
À quoi est due cette augmentation?
Graham Chafe est biologiste à la Fédération du Saumon Atlantique à St. Andrews (Nouveau-Brunswick), situé à environ 20 minutes de Milltown.
Monsieur Chafe explique que les remontées de gaspareaux sont en baisse depuis 1996. Des nombres annuels de plus de 600 000 étaient chose courante dans les dernières décennies, mais ont chuté pour atteindre 25 000 ou moins en 1999, et tout juste 900 en 2002.
Il présume que le nombre élevé de cette année est en partie attribuable à une remontée plus importante d’environ 50 000 poissons en 2010 et peut-être à un taux de survie en mer plus élevé.
Madame Pond ajoute qu’un bon ruissellement en 2014 a aussi aidé, avec les crues printanières, ce qui a favorisé les déplacements du gaspareau dans la rivière. De plus, des ingénieurs canadiens et américains responsables des passes migratoires ont modifié l’échelle à poissons au barrage de Milltown cette année.
S’il y a plus de poissons qui retournent dans le réseau, avec un accès à un nouvel habitat, c’est un atout majeur.
« Avant 2013, lorsque l’ensemble de la rivière a été ouvert, moins de deux pour cent de l’aire de production potentielle pour les gaspareaux leur était accessible », a expliqué monsieur Chafe. « Ils n’avaient pas accès à toutes ces aires en amont. »
Maintenant que la rivière a été rouverte, le gaspareau va se déplacer dans le réseau, mais cela prendra du temps, a expliqué monsieur Chafe. Il importe de continuer à faire les dénombrements au barrage de Milltown pour vérifier si l’initiative de rétablissement donne des résultats favorables.
Jusqu’où nagent-ils?
Le nombre de poissons comptés à Milltown qui remontent plus haut dans la rivière et franchissent les passes migratoires aux autres barrages demeure un mystère. Les chercheurs se servent de dispositifs de repérage pour en avoir une meilleure idée.
En juin 2014, la Fédération a implanté un dispositif de repérage chez 30 gaspareaux entrant dans la rivière Ste‑Croix à Milltown et a relâché les poissons 0,5 mille en amont à une rampe de mise à l’eau.
Quatre de ces poissons ont franchi le barrage de Woodland, lequel était inaccessible avant 2013. Trois poissons sur ces quatre sont allés encore plus loin, et au moins un d’eux s’est rendu à 16 kilomètres (presque 10 milles) passé le barrage de Grand-Sault. L’étude a été répétée cette année et les résultats sont en train d’être compilés.
« Il semble que les poissons franchissent tous les barrages qui sont ouverts », a‑t‑il affirmé. « Ils se dispersent dans tout le réseau. Ils accèdent à cet habitat agrandi. Il est probable que nous verrons davantage de remontées abondantes dans l’avenir, ce qui est très motivant! »
Tiré d’un rapport de la CMI datant de 2008 sur la rivière Ste-Croix.
La tribu des Passamaquoddys effectue actuellement des travaux de suivi similaires, notamment sur ce que fait le gaspareau dans l’estuaire et la baie ainsi que sur son comportement autour du barrage de Milltown.
« Le gaspareau est l’une des nombreuses espèces sur laquelle la tribu compte pour sa subsistance », a mentionné Theo Willis, écologiste du Passamaquoddy-Pleasant Point Environmental Department.
« Il s’agit d’une espèce importante pour la tribu sur le plan culturel; par conséquent, le rétablissement du gaspareau revêt une importance à la fois écologique et spirituelle. »
Jonathan Carr, directeur de la recherche à la Fédération du Saumon Atlantique, utilisant un appareil portatif pour vérifier le fonctionnement des dispositifs de repérage implantés chez les gaspareaux. Source : Graham Chafe.
Des aloses et des moules aussi
En 2014, environ 27 000 gaspareaux ont été comptés à Milltown, soit près de 66 000 de moins que cette année. Les dénombrements sont effectués à proximité de la tête de la rivière, qui divise St. Stephens, au Nouveau-Brunswick, et Calais, dans le Maine.
Un piège à cet endroit fait l’objet d’une surveillance quotidienne et les poissons y sont comptés à la main, puis sont relâchés. Les dénombrements commencent à peu près en avril et se poursuivent jusqu’en juin de chaque année, selon le moment où le poisson pénètre dans la rivière.
Parmi les nombres élevés de gaspareaux comptés cette année se trouvaient 11 aloses savoureuses; c’est la première fois que cette espèce est déclarée à Milltown depuis 1999.
« Nous pensons qu’elles sont entrées dans la baie avec un groupe de gaspareaux et qu’elles ont été prises dans la remontée », a expliqué madame Pond. Elles se dirigeaient probablement vers la rivière Saint-Jean (vers le nord) ou ailleurs avec des remontées d’aloses connues. »
Le fait d’avoir vu des aloses constitue un signal positif de biodiversité, a‑t‑elle affirmé.
Monsieur Chafe a ajouté que le retour du gaspareau dans la rivière Ste‑Croix profite à l’ensemble de l’écosystème.
« Le gaspareau est une espèce-proie pour d’autres poissons et le seul hôte connu, dans la rivière, d’un type de moule indigène bénéfique appelée anodonte du gaspareau », a‑t‑il mentionné.
Les dénombrements effectués à Milltown sont subventionnés en partie par l’Initiative internationale sur les bassins hydrographiques de la CMI, laquelle est financée par le Canada et les États‑Unis. La Commission internationale de la rivière Ste-Croix, la tribu des Passamaquoddys et la Fédération du Saumon Atlantique, de même que le Department of Marine Resources du Maine, Énergie NB, le ministère des Pêches et des Océans du Canada et le Fish and Wildlife Service des États‑Unis offrent un appui non financier.