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La tanche, une espèce envahissante, menace le lac Ontario

kevin bunch
Kevin Bunch
two Eurasian Tench swimming in lake

 

invasive Eurasian tench
La tanche, une espèce envahissante, a été introduite dans les cours d’eau nord-américains aux fins de pêche sportive et de consommation humaine à la fin du 19e et au début du 20e siècle. La présence de ce poisson a été observée récemment dans le fleuve Saint-Laurent. Photo : Invadingspecies.com

La tanche, une espèce envahissante recensée au Canada et aux États-Unis, a rapidement étendu son aire de répartition dans le fleuve Saint-Laurent au cours des dernières années. Sa présence en amont s’est étendue à l’ouest jusqu’au lac Saint-François, dans le sud-est de l’Ontario. Les chercheurs, les scientifiques et les gestionnaires de ressources craignent que la tanche ne fasse des ravages parmi les poissons indigènes et ne nuise à leur habitat si elle entre dans le réseau des Grands Lacs.

La tanche est un poisson indigène d’Europe et d’Asie occidentale. Selon l’US Geological Survey, c’est la Fish Commission qui a fait venir ce poisson en Amérique du Nord en 1877 pour qu’il puisse servir à la consommation et comme prise pour la pêche sportive. Cette initiative s’est poursuivie jusqu’au 20e siècle, mais, dans la plupart des régions où la tanche a été introduite, les populations n’ont pas survécu. Par contre, une population introduite illégalement en 1986 dans la rivière Richelieu, par un établissement piscicole opérant sans permis, s’est rapidement répandue dans le fleuve Saint-Laurent et le lac Champlain, selon Sunci Avlijas, étudiante au doctorat à l’Université McGill, qui s’est penchée sur la tanche. Ce poisson a été observé pour la première fois dans le fleuve Saint-Laurent en 2006, et un programme de surveillance géré par le gouvernement du Québec et les pêcheurs commerciaux a été mis en place depuis lors. La population a connu une croissance exponentielle continue de 2009 à 2014. La tanche s’est également propagée dans le Saint-Laurent, en aval vers Québec et en amont vers le lac Ontario.

« Nous craignons qu’elle ne se rapproche des Grands Lacs, car la tanche préfère les eaux tranquilles rencontrées aux abords des marécages, et de nombreux milieux présentent ce profil dans les Grands Lacs », a déclaré Avlijas, dont le résultat des travaux a été présenté à la conférence de l’Association internationale de recherche sur les Grands Lacs, en juin 2017. « Une fois que la tanche pénètrera dans les Grands Lacs, la baie de Quinte lui offrira un habitat encore meilleur que celui du Saint-Laurent ».

Une fois établie dans un milieu optimal, la tanche forme des populations denses. Avlijas explique que la tanche se nourrit d’une variété de macro-invertébrés constituée de zooplancton, de mollusques et de moules, d’insectes et d’écrevisses, lesquels vivent principalement au fond de l’eau, mais que, en eaux lentiques, elle remonte jusqu’à la surface pour se nourrir. La tanche a également tendance à soulever de la vase et des sédiments, ce qui nuit à la qualité de l’eau. En plus d’être en concurrence directe avec les poissons indigènes pour la nourriture, la tanche est également l’hôte de parasites non indigènes qui n’ont jamais été recensés dans les Grands Lacs, précise Avljias, ce qui en fait des vecteurs potentiels de maladies pouvant s’attaquer aux poissons indigènes. On sait en outre que la tanche se nourrit de zooplancton pouvant contenir des algues, ce qui pourrait aggraver la quantité et l’ampleur des efflorescences d’algues nuisibles.

De plus, la tanche peut survivre dans des milieux pauvres en oxygène et se couvrir de boue pour survivre hors de l’eau pendant un certain temps, ce qui lui permet de migrer dans de nouveaux plans d’eau, explique Avlijas. On a rapporté des cas où des tanches expédiées par la poste dans des sacs mouillés étaient encore vivantes à leur arrivée un jour plus tard.

« La tanche est une parfaite candidate au transport par les humains », poursuit-elle.

Tench compete with native fish for food and habitat in nearshore regions, and can cause water quality issues as they dig through mud
La tanche fait concurrence aux poissons indigènes pour la nourriture et l’habitat dans les zones situées près du rivage, et peut nuire à la qualité de l’eau lorsqu’elle fouille dans la vase. Crédit : Sunci Avlijas 

Bien que les poissons indigènes comme le doré jaune, le grand brochet, l’achigan à petite bouche, l’achigan à grande bouche et le poisson-castor se nourrissent de la tanche, une fois que cette dernière atteint une longueur d’environ 30 cm (12 po), elle échappe à la plupart des prédateurs en raison de sa taille. Avlijas explique que c’est ce qui s’est produit dans le lac Saint-Pierre, où les poissons sont abondants.

La mesure dans laquelle la tanche pourrait avoir un impact sur les Grands Lacs fait encore l’objet de débats, mais on prévoit qu’elle pourrait s’y établir, mentionne Jeff Brinsmead, biologiste principal spécialiste des espèces envahissantes au ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario. Bien que la plupart des États limitrophes des Grands Lacs n’interdisent pas la tanche, le Wisconsin a imposé une interdiction visant cette espèce qui remonte à 2009, année où cet État a adopté son propre règlement sur les espèces envahissantes. Aux termes de ce règlement, le transport, la possession, le transfert et l’introduction de la tanche sont illégaux dans cet État. Selon Joanne Haas, agente d’information au ministère des Ressources naturelles du Wisconsin, la tanche a été introduite dans certains lacs par le passé, et on savait qu’elle était présente dans les États voisins comme l’Ohio, l’Indiana, l’Illinois et le Michigan, même si les populations reproductrices y étaient rares. Cependant, le Wisconsin se préoccupe toujours du risque de reproduction de cette espèce et considère la tanche comme un concurrent potentiel des ménés et des poissons indigènes ciblés pour la pêche sportive.

Le Michigan a également adopté des lois interdisant le transport de spécimens vivants de tanche, et les amendes peuvent atteindre jusqu’à 10 000 $. La tanche est une espèce interdite dans cet État.

Bien que la tanche ne soit pas considérée comme une espèce envahissante dans la réglementation de l’Ontario, les règles s’appliquant à toutes les espèces de poissons dans cette province s’appliquent aussi à la tanche : un poisson peut être relâché dans le plan d’eau où il a été trouvé uniquement si la personne ou l’organisation qui le relâche possède un permis. L’utilisation de la tanche comme appât est également interdite dans la province, et les résidents sont priés d’avertir le ministère des Richesses naturelles et des Forêts s’ils découvrent des tanches dans un milieu naturel, en téléphonant à la ligne d’urgence pour les espèces envahissantes, au 1-800-563-7711, ou en allant en ligne à l’adresse suivante : www.EDDMapS/Ontario. Lorsque des activités illégales impliquant la tanche sont observées, elles peuvent être signalées à la Direction de l’application de la loi du Ministère au 877-TIPS-MNR (877‑847-7667). De plus amples renseignements sont publiés dans le site Web du Programme de sensibilisation aux espèces envahissantes de l’Ontario (en anglais seulement).

Une fois qu’une espèce envahissante s’est établie dans un nouveau milieu, il est très difficile, voire impossible, de l’éradiquer. Cependant, il est parfois possible de ralentir ou de bloquer sa propagation. Des efforts d’éducation et de sensibilisation doivent être déployés pour renseigner le public sur les règles applicables au transport des poissons vivants. Selon Brinsmead, étant donné que la tanche est apparentée à la carpe asiatique, il est possible que des techniques similaires, comme l’emploi de barrières électriques, s’avèrent efficaces pour empêcher la propagation de la tanche. Cependant, aucun essai n’a encore été réalisé spécifiquement sur la tanche, et Brinsmead explique que d’autres espèces, comme l’anguille d’Amérique, qui est en voie de disparition, se déplacent également dans le fleuve Saint-Laurent, de sorte que toute mesure visant à bloquer la tanche devrait tenir compte du besoin de laisser passer ces espèces. Selon Avlijas, pour limiter la propagation de la tanche, il faut que le public respecte les règlements pris par les provinces et les États dans la région des Grands Lacs.

« Les gens la considèrent comme une espèce non envahissante du fait qu’elle ne s’est pas propagée après son introduction (légitime), dit-elle. La tanche a été négligée pendant longtemps. 

 

adult tench 27 inches
La tanche adulte peut atteindre jusqu’à 70 cm (27 po) de longueur environ. Crédit : Sunci Avlijas

 

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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