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La santé des terres humides sous l’œil vigilant des chercheurs

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Kevin Bunch
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Des scientifiques de l’ensemble du bassin hydrographique des Grands Lacs surveillent les terres humides riveraines pour vérifier la qualité de l’eau et la santé des plantes, des animaux et des poissons qui y vivent. Ce travail aide les organisations et les organismes gouvernementaux du Canada et des États-Unis à restaurer et à protéger ces écosystèmes fragiles.

Les milieux humides ont une incidence considérable sur la santé des Grands Lacs. Ils peuvent capter et stocker des nutriments présents en excès, ce qui contribue à empêcher la prolifération d’algues dans les eaux libres. Les terres humides côtières fournissent également un habitat à toute une diversité d’espèces de poissons, d’insectes, d’amphibiens, de reptiles, d’oiseaux, de mammifères et de plantes, qui ont tous un rôle à jouer dans les écosystèmes entrecroisés des Grands Lacs. Les terres humides servent également d’éponges en libérant de l’eau pendant la saison sèche et en absorbant l’eau pendant la saison humide, ce qui stabilise le niveau d’eau et réduit la fréquence et la gravité des inondations. 

Face à la destruction et à la détérioration que des décennies de développement humain ont infligé à de nombreux milieux humides côtiers, il devient d’autant plus important d’aider à protéger ceux qui restent et à les restaurer dans la mesure du possible. Tout comme les gens devraient faire l’objet d’un examen médical annuel, ces terres humides ont besoin d’un examen régulier visant à dépister les problèmes ressentis par les diverses espèces et leurs habitats.

Surveillance des terres humides du lac Ontario

Des efforts ciblés sont déployés pour examiner des zones humides précises dans toute la région des Grands Lacs, dont celles de l’Office de protection de la nature du lac Ontario central (CLOCA), qui coordonne le programme de surveillance dans la région de Durham sur le lac Ontario.

Heather Pankhurst, biologiste des milieux humides auprès de l’organisme, affirme que la région présente une concentration unique de milieux humides côtiers aussi multiples que divers — 18 en tout — par rapport à d’autres parties du littoral canadien du lac Ontario qui en ont beaucoup moins dans une zone aussi ciblée. Comme ces terres sont situées à la sortie de leur bassin versant et que bon nombre d’entre elles se trouvent dans des zones urbaines, elles sont exposées à tout un éventail de facteurs de stress qui menacent leur santé.

En collaboration avec le Service canadien de la faune et les offices de protection de la nature de Toronto et de Ganaraska, le groupe de Mme Pankhurst visite ces terres humides chaque année pour échantillonner l’eau et faire le point sur plusieurs indicateurs écologiques, soit l’abondance de la population et la diversité des espèces chez les amphibiens, oiseaux nicheurs, poissons, invertébrés aquatiques (comme les insectes), et la végétation submergée. Ces indicateurs peuvent servir de variables pour en apprendre davantage sur la santé d’un milieu humide. Les données sont également utilisées par le Service canadien de la faune et Oiseaux Canada comme référentiel pour les études et dans le cadre des projets de surveillance, mais elles s’avèrent tout aussi utiles pour CLOCA et les entités locales, précise‑t‑elle.

« Nous utilisons les données… pour évaluer les conditions et la santé des terres humides. À partir de cette information, nous examinons les répercussions des activités humaines sur les bassins versants et les terres humides côtières, et nous nous en servons pour déterminer les meilleures mesures à prendre pour les besoins de gestion et restauration. »

Cet effort d’échantillonnage est en cours dans certaines régions depuis 2002, mais Mme Pankhurst rappelle qu’il est difficile d’analyser les tendances temporelles globales en raison de la variabilité naturelle et de la nature unique de chaque milieu humide.

Elle fait remarquer que de nombreux milieux humides de la région se trouvent en aval des centres urbains, ce qui signifie qu’ils ont des problèmes communs, notamment : la pollution d’amont par les sédiments et les nutriments (comme le phosphore ou l’azote); les espèces envahissantes comme la carpe commune et le roseau commun (phragmites); les changements apportés au littoral en raison du développement; ainsi que la transformation des communautés végétales sous l’effet de décennies de régularisation de l’eau et de la salinité accrue attribuable au ruissellement des sels de voirie.

Toujours selon Mme Pankhurst, dans les années de crues, les monocultures de quenouilles hybrides envahissantes peuvent s’étouffer, ouvrant des bassins et des canaux dans les lits de quenouilles qui fournissent un habitat supplémentaire aux oiseaux nicheurs des marais, comme le petit blongios. On constate aussi un effet de dilution dans les années de crues quand la clarté s’améliore, permettant à des plantes aquatiques de pousser là où elles ne le pouvaient pas auparavant. L’eau peut également recouvrir des parties du cordon littoral, ce qui permet d’établir un lien entre le lac et les terres humides qui, autrement, auraient été en grande partie coupées du lac depuis des années. Les éléments nutritifs, les sédiments et les organismes peuvent alors se croiser dans les deux sens.

Plus d’un millier de terres humides

L’effort de surveillance le plus ambitieux dans le bassin des Grands Lacs pourrait être le Programme de surveillance des terres humides côtières des Grands Lacs. Selon Matthew Cooper, directeur associé du Burke Center for Freshwater Innovation du Northland College, les efforts binationaux de 17 organisations différentes portent sur plus d’un millier de terres humides de la région des Grands Lacs selon un cycle de cinq ans, certaines étant visitées plus souvent.

Tout comme l’initiative CLOCA, le programme de surveillance du Burke Center dresse le bilan de la qualité de l’eau et d’indicateurs écologiques connexes. M. Cooper rappelle que, compte tenu de l’étendue des Grands Lacs, il s’agit d’un partenariat qui comprend 17 organismes fédéraux et étatiques, des campus universitaires et des laboratoires privés allant du bureau du programme national des Grands Lacs de l’Environmental Protection Agency des États-Unis (qui fournit le financement) à la Central Michigan University, en passant par Environnement et Changement climatique Canada.

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Allison Kneisel, membre de l’équipe d’étude de la végétation de la Central Michigan University, effectue des relevés de la végétation des terres humides près de l’île Rains dans la rivière St. Marys. Crédit photo : Bridget Wheelock

M. Cooper précise que le bassin des Grands Lacs a été divisé en différentes écorégions, ou zones concrètes, en fonction des conditions lacustres et écologiques dans différentes parties de chaque lac. On détermine ensuite les terres humides à vérifier en fonction du type de terres et de leur emplacement. À partir de ce moment-là, des chercheurs de n’importe quel organisme, laboratoire ou université responsable de cette région peuvent aller effectuer leur échantillonnage.   

Toutes les organisations intéressées appliquent les mêmes méthodes d’échantillonnage et d’analyse normalisées pour garantir l’uniformité au niveau de la collecte des données. Les données sont ensuite saisies dans une base de données sur le site Web du programme, qui est tenue à jour et diffusée parmi les organismes des environs des lacs pour les aider dans leurs travaux de restauration ou de protection des terres humides. Malgré un certain parallèle avec les normes de recherche suivies par d’autres organisations, M. Cooper affirme que la base de données utilisée se compose exclusivement des données de l’équipe pour s’assurer que tout se déroule de façon uniforme.

Ces données sont utilisées de plusieurs façons. Selon M. Cooper, on peut vouloir de l’information sur les communautés de poissons à un endroit précis, par exemple, ou encore chercher à connaître l’état de santé d’un milieu humide avant de commencer les travaux de restauration pour pouvoir ensuite comparer les résultats avant et après. Ce sont des aspects particulièrement importants, car les projets de restauration des terres humides réalisés dans le cadre du Great Lakes Restoration Initiative des États-Unis sont suivis par le gouvernement américain et par des efforts binationaux, comme les outils et les cartes des terres humides côtières que propose l’organisme Blue Accounting.

« Un exemple récent ici au lac Supérieur est un grand projet de restauration sur la rivière Flag qui se déroule près de la ville de Port Wing (Wisconsin), explique M. Cooper.

Il y avait d’anciens étangs de décantation des eaux usées dans les milieux humides. Le ministère des Ressources naturelles du Wisconsin et ses partenaires souhaitaient enlever les lagunes et rétablir les prairies de carex indigènes… nous avons échantillonné les zones autour du lieu de restauration visé, recueilli des données sur les poissons et effectué d’autres mesures, puis les travaux se sont déroulés l’été et l’automne derniers. Nous irons donc sur le terrain cette année et les années suivantes pour voir comment les milieux humides ont réagi. »

Les organes de gestion des ressources naturelles autochtones sont aussi des utilisateurs réguliers de l’information, dit M. Cooper, et le programme de surveillance travaille avec eux pour accéder aux sites sur leurs terres, fournir et interpréter les données et veiller à ce que les plantes essentielles comme le manoomin (riz sauvage) ne soient pas perturbées.

Il a fallu des années pour affaiblir ces écosystèmes et il faudra bien des années encore pour qu’ils puissent se rétablir, mais avec de bonnes observations, nous pouvons nous assurer que ces « patients » seront en meilleure santé.

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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