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La lutte contre la lamproie marine : le plus grand succès contre une espèce envahissante

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Kevin Bunch
Sea lamprey

 

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La lamproie marine est l’une des espèces envahissantes qui sévit depuis le plus longtemps dans les Grands Lacs. Photo : C. Krueger, CPGL

Un envahisseur dans un bassin d’eau douce gigantesque. Un nombre incalculable de frayères. Une pêche au bord du gouffre. La recherche désespérée d’une solution, qui a fini par devenir le plus grand succès de collaboration en termes de lutte contre les espèces envahissantes de l’histoire du Canada et des États-Unis. Ce n’est pas un film, mais plutôt un véritable récit de l’invasion des Grands Lacs par la lamproie marine.

La lamproie marine est un poisson parasite indigène dans l’océan Atlantique. Au stade adulte, la lamproie s’accroche à d’autres poissons au moyen de sa bouche en forme de ventouse et utilise sa langue râpeuse pour pénétrer la chair de sa victime et en aspirer les liquides corporels et le sang. Dans l’Atlantique, elle ne tue généralement pas ses hôtes, mais il n’en est malheureusement pas de même pour les poissons hôtes des Grands Lacs. On estime qu’une lamproie peut à elle seule détruire en moyenne 18 kilogrammes (39 livres) de poissons au cours de sa vie en tant que parasite et que seulement un poisson sur sept survit à une attaque par une lamproie. La lamproie marine ne doit pas être confondue avec les lamproies indigènes, qui sont plus petites, présentent une coloration différente et ne tuent généralement pas les poissons hôtes.

Des lamproies marines ont pour la première fois été détectées dans le lac Ontario, en 1835. Bien qu’il y ait eu des débats à savoir si l’espèce était indigène dans le lac Ontario, celle-ci est vraisemblablement une espèce envahissante qui y serait arrivée par le canal Érié, selon Marc Gaden, directeur des communications de la Commission des pêcheries des Grands Lacs (CPGL), organisation binationale financée par les gouvernements du Canada et des États-Unis. La reconstruction en 1919 du canal Welland, qui contourne les chutes Niagara et relie le lac Ontario au lac Érié, a probablement permis à la lamproie marine de pénétrer dans le lac Érié, puis dans le reste du bassin. L’espèce a été découverte dans le lac Érié en 1921, dans le lac Michigan, en 1936, dans le lac Huron, en 1937, et dans le lac Supérieur, en 1939. La lamproie marine a trouvé dans les Grands Lacs d’innombrables affluents présentant la combinaison nécessaire de frayères pour la ponte des œufs et de limon pour la croissance des larves, qui fait du bassin un jardin d’Éden. Dans son habitat indigène, la lamproie marine passe la majorité de sa vie dans l’eau salée. Dans les Grands Lacs, elle est donc une rare espèce à s’être adaptée entièrement à la vie dans un système d’eau douce (de manière semblable aux espèces de saumons du Pacifique introduites aux fins de lutte contre le gaspareau, une espèce également envahissante).

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Touladi capturé dans le lac Huron auquel une lamproie marine s’est accrochée. Photo : Marc Gaden, CPGL

L’impact sur les pêches dans les Grands Lacs a été dévastateur. Avant l’invasion, quelque 9 millions de kilogrammes (20 millions de livres) de poissons étaient récoltés commercialement chaque année dans les Grands Lacs d’amont (lacs Supérieur, Huron et Michigan). Dans les années 1960, cette quantité a été réduite, pour s’établir à environ 136 077 kilogrammes (300 000 livres) par année, alors que les lamproies marines tuaient annuellement près de 45,4 millions de kilogrammes (100 millions de livres) de poissons et que 85 % des poissons restants restaient marqués par des blessures laissées par les attaques de lamproies.

« Les pêcheurs commerciaux et les gestionnaires des pêches ont réalisé qu’il y avait un problème pour la première fois vers les années 1940, période où l’impact de la lamproie marine sur les pêches des lacs Huron et Michigan était devenu évident », explique M. Gaden. « C’est alors que les gestionnaires et les scientifiques ont pris les grands moyens et ont commencé à rechercher des mesures de lutte. »

Ayant peu d’expérience avec les espèces aquatiques envahissantes, ils ont tenté un vaste éventail de méthodes de lutte, notamment l’installation de barrières physiques pour empêcher les lamproies d’entrer dans les cours d’eau utilisés comme frayères, de simples barrières électriques pour bloquer leur progression et de filtres pour empêcher les larves de pénétrer dans les Grands Lacs à partir des cours d’eau intérieurs. Des entrepreneurs ont essayé de faire de l’espèce une espèce commerciale destinée à la consommation humaine, mais aucune de ces tentatives n’a permis d’arrêter la lamproie marine.

La percée est venue après des années de recherche en vue de trouver un composé chimique qui tuerait la lamproie marine sans nuire aux autres organismes. Un composé appelé TFM a été découvert et mis à l’essai sur le terrain en 1957, puis a commencé à être utilisé en 1958 par la CPGL. Son utilisation a été une grande réussite.

Le lampricide cible les larves de lamproies marines qui vivent dans les cours d’eau. Après leur éclosion en amont de secteurs rocheux, les larves se rendent vers des secteurs limoneux, puis s’enfouissent dans le substrat avant d’émerger en tant qu’adultes. Le lampricide les tue pendant ce stade larvaire vulnérable en perturbant le métabolisme avant que les individus ne puissent croître et devenir les grands prédateurs des Grands Lacs. Selon M. Gaden, après des décennies d’utilisation du composé chimique, la population de lamproies marines dans les Grands Lacs a été réduite d’environ 90 à 95 % par rapport au pic de la fin des années 1950, tandis que le nombre de poissons tués par des lamproies a chuté d’environ 4,5 millions de kilogrammes (10 millions de livres) par année. Bien que le lampricide affecte également les espèces de lamproies indigènes, les larves de lamproies marines ont tendance à vivre et à frayer dans des secteurs différents de ceux des espèces indigènes. Les gestionnaires des pêches concentrent donc leurs efforts sur les secteurs où les larves de lamproies marines s’enfouissent pour réduire le plus possible les répercussions sur les espèces indigènes.

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Larves de lamproies marines mortes sur les rives de la rivière Manistee après une application efficace de lampricide. Photo : R. McDaniels, CPGL

Le lampricide n’est pas le seul outil utilisé pour réduire le nombre de lamproies, a expliqué M. Gaden, puisqu’une lutte efficace requiert de multiples tactiques. Des barrières physiques sont toujours utilisées pour bloquer le chemin aux lamproies vers leurs frayères préférées. Si les lamproies ne peuvent pas atteindre les frayères, il est inutile de recourir au lampricide, dont l’application est coûteuse et chronophage. La CPGL pose également des cages pour capturer les lamproies qui entrent dans les cours d’eau ou qui en sortent, les retirant ainsi du système. La Commission a également lâché des lamproies mâles stérilisées dans la rivière St. Marys pour qu’elles y évincent les mâles fertiles. Plus récemment, M. Gaden a déclaré que la CPGL était sur le point d’utiliser des phéromones isolées de lamproies afin de perturber le comportement, c’est-à-dire d’éloigner les lamproies de leurs frayères idéales et de les attirer vers les cages.

« Nous travaillons à décoder leur génome », a ajouté M. Gaden. « Il y a des éléments du génome de la lamproie marine que nous pouvons exploiter, par exemple pour créer des conditions favorisant la production de mâles seulement, mais ça, c’est pour plus tard. »

Mark Burrows, chercheur en sciences physiques et gestionnaire de projets au Bureau régional des Grands Lacs de la CMI, a précisé que la CPGL a parrainé une importante recherche consacrée au contrôle et à l’éradication de la lamproie marine et, par le fait même, à la protection des espèces indigènes. La recherche a été grandement soulignée lors de la récente conférence de l’Association internationale de recherche sur les Grands Lacs, à Detroit.

« La CPGL doit être félicitée pour les progrès qu’elle a réalisés dans la lutte contre cette espèce envahissante destructrice, et je suis sûr qu’elle saura réduire de dix fois encore le nombre de lamproies dans l’avenir », a dit M. Burrows.

Une approche ciblée à l’égard des espèces envahissantes peut fonctionner dans de petits lacs intérieurs, mais la superficie des Grands Lacs complique la lutte contre les envahisseurs aquatiques. Le fait que la lamproie marine ait envahi une voie navigable qui sert aussi de frontière entre le Canada et les États-Unis a ajouté une difficulté de plus. Les deux pays devaient travailler ensemble, alors que la gestion des pêches relève principalement de la compétence des gouvernements provinciaux, étatiques, tribaux ou des Premières Nations. Grâce à ce travail d’équipe, nous avons empêché la lamproie marine de complètement dominer l’écosystème des Grands Lacs pour des décennies.

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Cages à lamproies marines mises à l’essai sur le terrain, installées dans la rivière Ocqueoc, au Michigan. Photo : T. Lawrence, CPGL

 

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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