Dans le bassin du lac Champlain, plus particulièrement dans baie Missisquoi, un excès de phosphore alimente les proliférations d’algues nuisibles
« Notre bassin hydrographique reçoit plus de phosphore qu’il n’en produit de façon endogène », explique Matthew Vaughan, Ph.D., scientifique en chef du Programme du bassin du lac Champlain. « Et cela n’a rien de nouveau, puisque le phénomène date de plus de 100 ans. »
Toutefois un projet binational qui aboutira cet automne devrait nous procurer les outils nécessaires pour endiguer le flux de nutriments excédentaires, comme le phosphore, qui alimentent les proliférations de cyanobactéries dans la baie.
Les sources de phosphore dans la partie amont du bassin comprennent les apports d’origines résidentielle et agricole qui vont des rejets d’eaux usées municipales et des fuites de fosses septiques défaillantes aux sédiments lacustres, en passant par les eaux pluviales et le ruissellement chargé d’engrais et de déjections du bétail.
Recommander des solutions
Le projet découle d’un renvoi que les gouvernements du Canada et des États-Unis ont adressé en 2017 à la Commission mixte internationale (CMI).
Les gouvernements ont en effet demandé à la CMI de recueillir et d’analyser une série de données sur la réduction des charges de nutriments et sur les proliférations d’algues nuisibles dans la baie Missisquoi, de formuler des recommandations pour améliorer les efforts déployés par le Vermont et le Québec et d’accélérer la progression dans le sens des objectifs de qualité des eaux de la baie.
C’est ainsi qu’une étude menée sous l’égide de la CMI a débouché sur une série de recommandations concernant notamment la nécessité d’adopter un modèle binational de bilan massique et d’établir le niveau des apports et des rejets de phosphore dans la baie Missisquoi. Selon un rapport de 2024 sur l’état du lac (en anglais seulement), publié plus tôt cette année par le Programme du bassin du lac Champlain, des objectifs de qualité de l’eau en fonction des limites de concentration de phosphore ont été établis en 1991 pour 13 secteurs du lac Champlain, y compris pour la baie. Cependant les concentrations annuelles de phosphore ont régulièrement dépassé les limites établies depuis le début de la surveillance.
Le programme du bassin du lac Champlain a accordé des fonds à Stone Environmental Inc., du Vermont, pour réaliser le projet. Les travaux ont commencé en 2022 en liaison avec des partenaires de l’Université du Vermont et des groupes québécois, soit l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA) et l’Organisme des bassins versant de la baie Missisquoi (OBVBM).
« Ce projet est le premier où un véritable effort commun a été entrepris des deux côtés de la frontière, avec application d’approches et de protocoles semblables et cohérents », indique Aubert Michaud, Ph.D., chercheur associé à l’OBVBM. « Nous disposons maintenant d’un portrait global des apports de phosphore. »
Créer un modèle de bilan massique
Les chercheurs ont voulu comprendre quelles stratégies pourraient être utilisées pour parvenir à un impact bénéfique durable sur la réduction des nutriments qui pénètrent dans la baie et causent des problèmes de qualité de l’eau, comme la prolifération d’algues nuisibles.
L’étude a examiné en détail toutes les sources de phosphore.
« Nous parlons de bilan massique parce que, à terme, nous voulons réduire la teneur de phosphore dans le lac Champlain », ajoute M. Vaughan.
« Nous comprenons maintenant très bien les mouvements dans la baie Missisquoi, car nous en surveillons les principaux tributaires que sont la rivière Missisquoi, la rivière Pike et la rivière Rock.
« Avant tout, nous croyons possible de réduire les apports de phosphore dans le système. »
Des stations de surveillance en bordure de champ (comme celle-ci) ont permis d’élaborer un modèle de bilan massique du phosphore. Source : Stone Environmental
Michael Winchell est vice-président de Stone Environmental.
« Nous retraçons le phosphore qui entre dans la baie, déterminons ce qu’il devient après avoir pénétré dans la baie et le temps qu’il lui faut pour en sortir », indique M. Winchell.
Il faut plusieurs années pour que le phosphore quitte la baie. M. Winchell précise que les chercheurs sont encore en train d’évaluer la réaction de la baie à l’augmentations et à la diminution des niveaux de phosphore.
Les mesures antérieures effectuées dans la rivière servent à élaborer des modèles informatiques pour simuler ce qui se passe dans le paysage et à déterminer l’impact que pourraient avoir les changements apportés aux pratiques de gestion, comme l’épandage de fumier dans les champs agricoles.
Il est ici question de tenir compte de certaines variables comme la qualité du sol. Certains sols sont plus vulnérables au ruissellement que d’autres. Même la pente d’une zone peut avoir un effet non négligeable. Ainsi, selon M. Winchell, il est possible de cibler les « sources critiques » pour obtenir un gain maximum en termes de qualité de l’eau grâce à une réduction du ruissellement de phosphore.
Parmi les autres techniques de gestion des nutriments, mentionnons la culture de couverture, l’agriculture de conservation et l’instauration de zones tampons végétales.
« D’un point de vue stratégique, il faut réduire les apports de phosphore », affirme M. Michaud. « D’un point de vue tactique, c’est aussi un outil intéressant pour travailler sur le terrain auprès des agriculteurs, des municipalités et des émetteurs de phosphore. »
Mise en œuvre du projet
Les résultats du projet seront utilisés par des organismes comme le Programme du bassin du lac Champlain, qui finance la recherche et accorde des subventions pour mettre en œuvre des pratiques de gestion exemplaires.
Selon M. Vaughan, « si nous constatons qu’une région bénéficie de meilleures pratiques agricoles permettant de réduire le ruissellement de phosphore, nous pourrions mettre des ressources, une expertise et des incitatifs au service de région ».
M Winchell estime que le milieu agricole s’est déjà montré « très actif » dans l’examen des pratiques de modification visant à réduire la perte de phosphore par les terres.
« L’analyse que nous effectuons nous amènera à examiner les pratiques actuelles au Vermont et au Québec, les répercussions potentielles sur le lac, ainsi que la mesure dans laquelle il faudra adopter ces techniques pour constater des impacts au niveau du lac. »
M. Michaud trouve très inspirante cette coopération binationale autour de cet enjeu commun, et il la trouve d’autant plus utile que les agriculteurs sont invités à faire leur part. L’État du Vermont investit d’importantes ressources dans les agriculteurs qui font leur part, et il est maintenant possible de dire que « nous travaillons ensemble. »
En marge de l’évaluation, les partenaires du projet préparent un outil en ligne pour permettre à quiconque d’accéder à une version simplifiée du modèle et de déterminer les répercussions des réductions spécifiques, dans le temps, des sources résidentielles ou agricoles de phosphore sur le lac.
Jeff Kart is executive editor of the Shared Waters IJC newsletter and a contractor to the US Section of the International Joint Commission in Washington, D.C.