Par Michael Mezzacapo, CMI
2017 a une fois de plus été une année marquante pour la prolifération d'algues dans le Lac Érié. La troisième plus importante prolifération d'algues jamais enregistrée a en effet été observée l’an dernier. Les scientifiques croient que la principale cause de cette importante efflorescence algale est un ruissellement excessif en provenance des terres agricoles en raison de concentrations élevées de phosphore dans le bassin versant de la rivière Maumee après de fortes précipitations aux mois de mai et juin. Le ruissellement excessif de nutriments de sources diffuses dégrade considérablement la qualité de l'eau dans tous les Grands Lacs, à l’exception du Lac Supérieur. Les solutions à mettre en œuvre pour résoudre ce problème sont complexes et nécessiteront la participation du gouvernement, des intervenants et de la communauté.
La National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis a récemment fait connaître une statistique alarmante : au cours de huit des dix dernières années, des proliférations d'algues classifiées importantes se sont produites dans le Lac Érié. La NOAA mesure la gravité en fonction de la biomasse de l’efflorescence sur une période prolongée. Les nutriments ne sont pas, toutefois, l’unique cause de ces efflorescences algales excessives; d’autres facteurs contribuent aussi à ces augmentations, notamment l'utilisation intensive des sols et les changements climatiques.
Le ruissellement des terres agricoles dans le bassin occidental du lac Érié est la principale source de la charge en éléments nutritifs. Des sources agricoles, environ 70 pour cent des éléments nutritifs proviennent de l’application d’engrais commerciaux et 30 pour cent proviennent du fumier de ferme. La combinaison du ruissellement excessif du phosphore des engrais commerciaux et du fumier de ferme et de l'évolution des conditions climatiques dans les Grands Lacs peut très bien être la cause de l’importante prolifération d'algues observée et d’efflorescences algales potentiellement nocives (qui rejettent des toxines néfastes pour les humains et pour la faune).
Une analyse publiée dans un récent Rapport du Conseil consultatif scientifique de la CMI indique que le phosphore excédentaire de l’application d’engrais est souvent stocké dans les sols agricoles, les fossés, les zones tampons et les terres humides, qui risquent de laisser échapper des nutriments pendant des années, voire des décennies. Le rapport indique qu’« il suffirait d’une petite "fuite” de phosphore excédentaire pour contribuer à la prolifération d’algues. » (Voir également : « Moins d’engrais et plus de transparence pour le bassin ouest du lac Érié »).
Vous voulez en savoir plus?
En plus des recommandations récentes de la CMI dans son rapport d’évaluation triennale des progrès (ETP), le Conseil de la qualité de l'eau et les Conseils consultatifs scientifiques de la CMI ont publié des rapports sur la pollution causée par les éléments nutritifs soulignant les tactiques de gestion des bassins versants et le ruissellement des engrais. Cliquez sur les rapports ci-après pour en apprendre davantage.
1. Les pratiques d’épandage d’engrais et leurs répercussions sur la qualité de l’eau dans le bassin occidental du lac Érié. Ce rapport évalue l’application d’engrais (principalement les engrais commerciaux et le fumier) et son impact dans le bassin occidental du lac Érié.
2. Gestion des éléments nutritifs, lac Érié. Ce rapport présente des recommandations sur l’utilisation des plans de gestion des bassins versants pour réduire la pollution par éléments nutritifs dans le lac Érié.
3. Évaluation des plans de gestion des bassins versants, Approches de gestion des éléments nutritifs dans le bassin du lac Érié et à des emplacements clés à l'extérieur du bassin. Ce rapport analyse la mise en œuvre des plans de gestion des bassins versants pour gérer la pollution par éléments nutritifs dans le lac Érié et identifie plusieurs facteurs clés essentiels pour que les plans de gestion des bassins versants puissent réduire de manière importante les charges en éléments nutritifs. ...
Éliminer complètement le ruissellement de nutriments n’est pas la solution à cette crise. Tout comme le corps humain, les lacs ont besoin de nutriments pour soutenir la vie. Les nutriments sont des éléments chimiques dont dépendent toutes les formes de vie, qu’elles soient animales ou végétales. Les nutriments favorisent la formation d’algues (techniquement, le phytoplancton), qui sont à la base de la chaîne alimentaire des lacs. L’eutrophisation est le processus que subit une étendue d’eau lorsqu’elle est soumise à une charge excessive de nutriments. L’eutrophisation peut jeter les bases d’une croissance démesurée des algues et des plantes aquatiques. Mais lorsque cette croissance finit pas s’arrêter, les bactéries et les microorganismes se nourrissent de la matière morte et consomment l’oxygène disponible dans l’eau. Si le niveau d’oxygène devient trop bas, des épisodes de mortalité massive de poissons peuvent survenir, ce qui peut avoir des répercussions importantes sur les écosystèmes.
Le ruissellement excessif des nutriments peut aussi altérer les conditions dans les lacs et autour d’eux et peut avoir des répercussions néfastes sur la santé humaine. La recherche a démontré que des pathogènes générés par les bactéries dans les efflorescences algales peuvent causer le botulisme aviaire (maladie affectant les oiseaux) qui prospère dans des environnements riches en éléments nutritifs et faibles en oxygène. À mesure que les conditions environnementales deviennent plus favorables aux algues et aux bactéries, les humains pourraient contracter ces maladies en consommant des animaux ou des poissons affectés ou en entrant en contact avec de l’eau ou des objets contaminés. De plus, si les systèmes municipaux d’épuration de l'eau ne sont pas en mesure d’éliminer les toxines produites par les efflorescences algales nocives, l’accès à l’eau potable pourrait être compromis, comme cela s’est produit dans le cas de la crise de l’eau de Toledo en Ohio en 2014.
(Voir également : « Signalisation sur la plage : Présence de cyanotoxines dans les Grands Lacs »)
Les répercussions de la quantité excessive d’éléments nutritifs et des efflorescences algales se font sentir partout dans le bassin des Grands Lacs ainsi que dans d’autres cours d’eau au Canada et aux États-Unis. Les gouvernements en prennent bonne note. Au moyen de l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs, le Canada et les États-Unis ont fixé des cibles révisées de la charge de phosphore dans les bassins occidental et central du lac Érié. Des stratégies, connues sous le nom de plans d’action nationaux, énoncent des programmes et des politiques considérées comme nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction en matière d'apports d’éléments nutritifs.
Les cibles mises à jour incluent une réduction de 40 pour cent des déversements de nutriments pour les États-Unis et le Canada, notamment dans les zones particulièrement sensibles des affluents du Lac Érié, comme la rivière Thames River en Ontario et la rivière Maumee en Ohio.
La cible de 40 pour cent de réduction engage le Canada à limiter ses déversements à 212 tonnes métriques chaque année, principalement dans la zone de la rivière Thames et du district de Leamington. Les émissions américaines, centrées dans les bassins de Maumee et de Sandusky, ne peuvent excéder 3 316 tonnes métriques pour atteindre une cible de 6 000 tonnes métriques.
Dans sa Première évaluation triennale des progrès réalisés (ETP), la CMI présente plusieurs recommandations visant à réduire la pollution par les nutriments et à améliorer la qualité de l’eau et exhorte les gouvernements à fournir plus de détails sur les échéances, les personnes responsables et la mesure des résultats.
Bien que de nombreuses actions non réglementaires ou volontaires soient en place pour réduire le ruissellement excessif de nutriments, comme les meilleures pratiques de gestion (MPG) en agriculture, la CMI réclame des normes plus strictes et des mesures exécutoires pour limiter le ruissellement de nutriments. Améliorer la conformité aux MPG et veiller à l’exécution de la réglementation aidera les gouvernements à atteindre les cibles fixées pour la réduction des nutriments dans le Lac Érié.
La qualité de l’eau dans le bassin occidental du Lac Érié a été gravement affectée par des efflorescences algales néfastes, mais il y a de l’espoir. Dans les années 1960 et 1970, la pollution par le phosphore due aux systèmes municipaux des eaux usées et les détergents avaient causé une prolifération excessive d’algues. Les gouvernements fédéraux, des états et des provinces, les municipalités ainsi que les citoyens ont fait front commun pour mettre en place des mécanismes de contrôle de la pollution et réduire de manière importante ces efflorescences algales. Les interdictions volontaires de détergents au phosphore ont commencé dans les années 1990. Des mesures audacieuses ont réglé le problème dans le passé; des mesures audacieuses sont requises aujourd’hui. Nombreux sont les rapports et les études qui se sont penchés sur le problème de la pollution par les nutriments, mais cela ne devrait pas empêcher les intervenants de prendre des mesures anticipées pour réduire leur contribution au ruissellement de nutriments.
Michael Mezzacapo is the 2017-2018 Michigan Sea Grant Fellow at the IJC’s Great Lakes Regional Office in Windsor, Ontario.