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Couverture de glace, aliments et hypoxie : comment les changements climatiques affectent-ils les poissons des Grands Lacs?

kevin bunch
Kevin Bunch
yellow perch Fr
yellow perch
Préférant les eaux fraîches, la perchaude, dont l’évolution fait coïncider la période d’éclosion avec la disponibilité ...

L’évolution du climat dans la région des Grands Lacs ne fera qu’exacerber les problèmes qui affectent déjà les espèces aquatiques, comme les espèces envahissantes et la rareté des aliments, et en présente de nouvelles, suite à l’augmentation des températures, selon des chercheurs des États-Unis et du Canada.

Les Grands Lacs font l’objet d’un éventail d’enjeux qui sont des agents stressants pour le poisson, le plancton et d’autres populations aquatiques : perte d’habitat, concentration excessive de nutriments, zones pauvres en oxygène connues sous le terme de zones hypoxiques, et espèces envahissantes comme la moule quagga. Les changements climatiques interagissent avec ces problèmes existants de manière complexe, selon Paris Collingsworth, spécialiste de l’écosystème des Grands Lacs de l’Illinois Sea Grant et co-auteur d’un article de recherche publié en 2017 sur ces interactions. Collingsworth est également professeur de recherche adjoint au département de la Foresterie et des Ressources naturelles de l’Université Purdue.

On s’attend à ce que les changements climatiques entraînent une augmentation de la température de l’air et de la surface de l’eau, dit Collingsworth, et on trouve déjà des preuves du réchauffement dans les eaux. Si les poissons ne sont confrontés qu’à cet aspect, et s’ils ont suffisamment d’espace pour se déplacer, ils sont capables de s’adapter, puisqu’ils régulent la température de leur corps en se plaçant dans des eaux qui ont la fourchette de température idéale pour leur espèce, quelle qu’elle soit (selon le processus dit de thermorégulation). Certaines espèces de poissons de certaines parties de l’Ontario ont ainsi migré vers le nord, dans des eaux historiquement plus fraîches, à mesure que les eaux se réchauffaient, explique Scott Parker, écologiste des changements climatiques à Parcs Canada.

« J’ai vu des bars blancs se déplacer vers le nord, dans le cours de mon travail, dit Parker. C’est davantage une espèce tempérée qui s’en vient maintenant dans nos eaux. »

Mean summer temperatures for each of the Great Lakes
Les moyennes estivales pour chacun des Grands Lacs indiquent que.

L’eau peut aussi atteindre des températures auxquelles certaines espèces ne se sentent pas à l’aise, comme le doré jaune, qui préfère des eaux fraîches, et le touladi, qui préfère des eaux froides, déclare Parker. Il ajoute que, bien que les Grands Lacs soient suffisamment grands et suffisamment frais pour que cela n’ait pas été trop préoccupant jusqu’à maintenant, le réchauffement des eaux devient un problème plus important dans les petits lacs à l’intérieur des terres, où la température augmente à un rythme plus rapide.

Mais ce changement de température des eaux affecte aussi la disponibilité de la nourriture et la fréquence de la couverture de glace, deux facteurs qui ont des répercussions considérables sur la façon dont les poissons se reproduisent et survivent. Collingsworth explique que le grand corégone, par exemple, fraie dans des eaux peu profondes à la fin de l’automne chaque année.

lake whitefish
Le grand corégone est une espèce précieuse sur le plan commercial.

« Cette espèce compte sur la couverture de glace pour stabiliser l’environnement dans lequel se trouvent les œufs, dit Collingsworth. S’il n’y a pas de couverture de glace, les vagues et les orages sont susceptibles de provoquer des turbulences dans ces milieux peu profonds, ce qui peut alors déloger les œufs. » Essentiellement, cela tue la larve de poisson avant qu’elle puisse éclore. D’autres poissons, comme l’esturgeon jaune, fraient également dans des eaux vives au printemps, et pourraient être en danger en raison des gros orages de printemps, ajoute-t-il. L’étendue de la couverture de glace maximale et la durée pendant laquelle elle reste sur l’eau varient d’année en année, bien sûr, mais dans l’ensemble, la couverture a diminué de 71 pour cent entre 1973 et 2010 sur les cinq Grands Lacs et sur le lac St. Clair.

 

Des hivers courts et chauds pourraient aussi provoquer une éclosion précoce, ce qui fait que ces poissons ne seraient pas bien équipés pour survivre. Chez la perchaude, par exemple, l’éclosion a lieu en fonction de la température de l’eau, dit Collingsworth.

Les types d’espèces de plancton trouvées dans les lacs ont également changé, dit Parker. Un article récent indique que ce changement affecte certains petits planctons, et quelles espèces de plancton se trouvent dans ces communautés. On ne sait pas trop pour le moment ce que cela pourrait signifier pour le réseau alimentaire des Grands Lacs.

Le réchauffement de la température des eaux et d’autres enjeux liés aux espèces envahissantes et au cycle des nutriments pourraient également mener à une rupture de la période d’activité traditionnelle des prédateurs et des proies, un phénomène observé dans certains milieux marins et qui pourraient se produire dans les Grands Lacs. Une espèce de poisson pourrait commencer d’éclore avant, ou après, que sa source de nourriture idéale soit facilement disponible, ce qui forcerait le poisson à se contenter de ce qu’il y a, ou entrainerait sa mort, selon le rapport de Collingsworth. Il est possible que ce soit la raison pour laquelle la perchaude et le doré jaune ont eu des difficultés à se reproduire convenablement dans le lac Érié.

« Grâce à des études réalisées sur les larves de poisson dans le lac Michigan, nous savons que la croissance du gaspareau durant sa phase larvaire est réduite de moitié de nos jours par rapport à ce qu’elle était au début des années 2000 et à la fin des années 1990, dit Collingsworth. Ils grandissent plus lentement, et le mécanisme présumé de cette croissance ralentie est qu’ils n’ont pas autant de nourriture. » Il ajoute que la moyenne du taux de croissance serait possiblement encore plus basse si les chercheurs pouvaient aussi inclure les gaspareaux juvéniles morts.

Une augmentation de la gravité et du nombre d’orages de printemps pourrait aussi provoquer un déversement accru de nutriments dans les réseaux de lacs, exacerbant ainsi les problèmes observés dans la partie ouest du lac Érié, la baie Saginaw, la baie Green et ailleurs : la prolifération d’algues et l’hypoxie. L’hypoxie peut poser un grand problème aux espèces de poisson qui préfèrent les mêmes fourchettes de température que celles que les zones hypoxiques ont tendance à occuper, forçant par exemple des poissons comme la perchaude à rester dans d’autres parties de la colonne d’eau qui ne sont pas aussi bonnes pour leur santé, pour la seule raison qu’elles peuvent y respirer, dit Collingsworth. Ce problème peut empirer lorsque des eaux se stratifient en des couches particulières de chaleur et de teneur en oxygène, ce qui arrive durant l’été et peut être interrompu par des orages, et les changements climatiques pourraient allonger la duréependant laquelle l’eau est stratifiée.

En outre, de plus grandes proliférations d’algues nuisibles peuvent poser des risques pour la santé humaine et se retrouver dans les prises d’eau. Les États-Unis et le Canada ont récemment dévoilé des plans visant à exercer une réduction des apports d’éléments nutritifs dans le lac Érié, tout en reconnaissant que ces plans pourront être adaptés au fil du temps pour refléter les changements climatiques et les conditions changeantes.

Les niveaux d’eau des lacs pourraient affecter les terres humides et d’autres écosystèmes côtiers si l’on voyait des périodes prolongées de niveaux d’eau faibles ou élevés, ce qui affecterait alors les poissons utilisant ces habitats. Pour le moment, toutefois, il règne encore une grande incertitude sur les répercussions possibles des changements climatiques sur ces écosystèmes, selon Collingsworth.

Les agents stressants existants comme les moules envahissantes et la perte d’habitat ont déjà changé fondamentalement l’identité et le caractère des Grands Lacs, dit Parker. Avec les changements climatiques en plus, les gestionnaires des pêches devront adapter leurs prévisions de stock et les limites de prise en fonction d’un « écosystème inédit ».

« Il ne s’agit pas simplement d’un nouvel écosystème dans notre région, il s’agit d’un écosystème inédit, affirme Parker. Nous n’avons encore jamais vu ces systèmes – nulle part. »

smallmouth bass
L’achigan à petite bouche étend sa répartition à ce qui était auparavant des eaux fraîches des Grands Lacs.
 
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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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