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Les Grands Lacs dans le tourbillon

Le niveau et la qualité des eaux des Grands Lacs sont parfois le jouet de forces qui se brassent à des milliers de kilomètres (ou de milles). L’hiver glacial de 2013-2014 l’illustre bien : trois facteurs atmosphériques et océaniques se sont conjugués pour plonger 200 millions de Nord-Américains, des Rocheuses à la côte atlantique, dans des froids records.

Par contre, les gens vivant à l’ouest des montagnes Rocheuses ont été épargnés, grâce à l’air chaud venu de l’océan Pacifique qui a été poussé vers le nord le long de la côte. Cette arrivée d’air chaud a créé une crête dans le puissant courant-jet, à quelque 10 000 mètres (30 000 pieds) d’altitude dans les vents d’ouest, avec une dépression se creusant vers le sud au milieu du continent et, dans les ondes planétaires de Rossby, une autre crête se déplaçant vers le nord, le long de la côte atlantique en direction du Groenland.

Les médias ont beaucoup parlé du rôle joué par le tourbillon circumpolaire. En fait, il y a deux tourbillons polaires, de forme elliptique ou circulaire : un qui se forme au-dessus de l’Arctique et l’autre, au-dessus de l’Antarctique, pendant l’hiver respectif de ces régions. Dans l’Antarctique, le tourbillon est très stable. Dans l’Arctique, beaucoup moins. Par-dessous, il subit l’influence changeante de l’océan et des terres et, par-dessus, l’effet des phénomènes soudains de réchauffement stratosphérique.

Cet hiver, les deux facteurs ont affaibli le tourbillon du pôle Nord. Par-dessous, le réchauffement provoqué par les gaz à effet de serre a augmenté la surface d’eaux libres et sombres des océans qui a absorbé l’énergie du soleil, contrairement à ce qu’aurait fait une surface glacée très réfléchissante. Des épisodes très forts de réchauffement stratosphérique ont encore affaibli le tourbillon, par le haut. Un tourbillon faible est beaucoup plus vulnérable aux perturbations à sa périphérie que créent les ondes – crêtes et creux – du courant-jet polaire, courant déjà très fort cette année, comme nous l’avons dit.

Ainsi, au lieu d’un tourbillon bien serré tournoyant au-dessus de l’Arctique, il s’est formé quatre lobes, et l’air froid a été emporté vers le sud par les creux dépressionnaires du courant-jet. Un lobe froid s’est installé au centre de l’Amérique du Nord, un autre au milieu de l’Atlantique, un sur la Sibérie et un dans la partie ouest du Pacifique. Vers l’est, de forts gradients de température et des tempêtes se sont créés, puis déplacés vers le nord, et ils ont provoqué de lourdes chutes de neige dans l’est de l’Amérique du Nord et des pluies torrentielles qui ont inondé le Royaume-Uni. Au même moment, un temps inhabituellement doux enveloppait le Groenland, l’Arctique canadien et l’Alaska.

An ice cave on Lake Superior, February 2014. Credit: Bjorn Watland.Grotte de glace au lac Supérieur en février 2014. Photo : Bjorn Watland.

Dans le bassin des Grands Lacs, le couvert de glace tend à s’amenuiser depuis les années 1970. La tendance, bien documentée dans l’Étude internationale des Grands Lacs d’amont réalisée pour la CMI, s’est provisoirement inversée en 2013-2014. Sous le tourbillon circumpolaire qui avait migré vers le sud, la surface de certains des lacs s’est englacée parfois jusqu’à 90 %. Avant cet englacement presque complet, l’effet de lac, créé par la rapide évaporation de l’eau sous le souffle rapide de l’air froid et sec, a fait tomber des neiges abondantes du côté sous le vent des lacs.

Une fois les lacs couverts de glace, l’évaporation a presque cessé et les neiges d’effet de lac ont diminué, sauf en aval des zones localisées d’eaux libres. La hausse du niveau des lacs est à prévoir en 2014, vu les moindres pertes par évaporation et les grandes quantités de neige accumulée qui vont fondre au printemps.

Cette conjonction inhabituelle de conditions hivernales ne fera qu’interrompre passagèrement la tendance au réchauffement climatique qui touche le niveau et la qualité des eaux des Grands Lacs. La tendance à long terme fait grimper la température de l’eau et augmente la fréquence des ruissellements pollués sous l’effet de périodes de pluies abondantes et de fonte des neiges. Réduire les effets sur les lacs de ces épisodes de pollution doit être au centre des efforts pour protéger et améliorer la qualité des eaux des Grands Lacs.

A breakdown of historic Great Lakes ice cover. Credit: U.S. National Ice Center. Analyse par lac de l’englacement historique des Grands Lacs. Source : U.S. National Ice Center.

--- Jim Bruce a coprésidé pour le Canada le Groupe consultatif sur l’intérêt public de l’Étude internationale des Grands Lacs d’amont. Il a aussi joué un rôle essentiel dans la mise sur pied du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), groupe qui a été colauréat du prix Nobel de la paix en 2007.

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